Chambre des communes

Moment charnière pour la communauté sikhe au Canada

OTTAWA — Gurbax Singh Malhi se souvient très bien de sa toute première élection à la Chambre des communes, en 1993. Il venait tout juste de devenir le premier sikh portant le turban à être élu dans une assemblée législative canadienne. Mais il était interdit de se couvrir la tête à la Chambre des communes.

« Tous les partis ont eu une réunion, ils m’ont convoqué et ils se sont entendus pour que je puisse siéger à la Chambre en couvrant ma tête avec un turban », raconte celui qui a représenté la circonscription de Bramalea–Gore–Malton, dans la grande région de Toronto, pendant près de 20 ans.

Aujourd’hui, M. Singh Malhi se dit « très fier d’avoir ouvert cette barrière en 1993 ».

Ce précédent pourra maintenant profiter à un nombre record de députés sikhs à la Chambre des communes : dix-sept, dont cinq portent le turban. Quatre ont été nommés au cabinet.

TROISIÈME LANGUE, PREMIÈRE FEMME

Le pendjabi, la langue du Pendjab d’où sont originaires la majorité des sikhs, sera la troisième langue en importance à la Chambre des communes dans cette 42e législature : elle est parlée par une vingtaine de députés qui ont des racines dans la région.

L’avocate montréalaise Anju Dhillon est du nombre : elle est devenue la première sikhe et Sud-Asiatique élue à la Chambre des communes dans l’histoire du Québec.

« Pour moi, c’est vraiment symbolique, pas seulement parce que je suis la première femme sikhe élue ici au Québec, mais aussi parce que ça va ouvrir les portes pour les autres jeunes qui s’en viennent », se réjouit Mme Dhillon.

UN TOURNANT

Satwinder Kaur Bains, directrice du Centre d’études indo-canadiennes à l’Université de la vallée du Fraser en Colombie-Britannique, parle d’un « moment charnière » dans l’histoire de la communauté.

« Je le vois vraiment comme une nouvelle maturité de la communauté, l’atteinte d’une nouvelle confiance. »

— Satwinder Kaur Bains

Ce « moment charnière » se manifeste déjà de plusieurs manières à Ottawa. Le ministre de l’Innovation Navdeep Singh Bains, l’un des deux sikhs qui portent le turban dans le cabinet, a livré la première annonce du gouvernement Trudeau le lendemain de sa prestation de serment, en décrétant le retour du formulaire long obligatoire du recensement.

Le ministre Singh Bains était aussi présent lors de la prestation de serment de son protégé, Raj Grewal, dans la Salle des chemins de fer, il y a deux semaines. La cinquantaine d’invités aux turbans multicolores ont posé pendant de longues minutes pour des photos sous l’immense toile représentant les Pères de la Confédération – les hommes qui ont participé aux conférences de Québec et de Charlottetown.

EN CROISSANCE DEPUIS L’ÈRE DE PIERRE ELLIOTT TRUDEAU

Originaires du Pendjab, les sikhs sont une minorité en Inde, mais pour des raisons historiques, ils forment une proportion importante de la population indo-canadienne : 1,2 million de personnes ont déclaré une origine ethnique indienne dans le recensement de 2011, et 450 000 ont dit être de religion sikhe. Le pendjabi est parlé par 1,3 % de la population canadienne, 6 % des députés de la Chambre des communes et 13 % des ministres du cabinet Trudeau.

« Les premiers sikhs sont arrivés au Canada en 1897 et ont obtenu le droit de vote en 1947, explique Balpreet Singh Boparai, conseiller juridique de la World Sikh Organization of Canada. Le véritable afflux de sikhs au Canada a commencé dans les années 70 sous les politiques du premier ministre Pierre Elliott Trudeau. »

Le résultat, dit le porte-parole, est qu’un « nombre important de sikhs se sont impliqués dans le Parti libéral, et à travers les années, nous avons vu cette implication augmenter et s’étendre aux autres partis ».

Cette implication politique intensive, beaucoup plus valorisée au sein de la communauté et moins ancrée dans le cynisme, s’explique en partie par des raisons religieuses.

« Pour les sikhs, servir les autres et créer des changements positifs fait partie de notre foi. »

— Me Singh Boparai

Le fait que le Pendjab soit une région frontalière et que les sikhs aient toujours vécu en situation minoritaire explique aussi leur désir d’être « assis à la table » pour « participer au dialogue et non pas seulement comme des observateurs passifs », estime Satwinder Kaur Bains.

DES CRITIQUES

La surreprésentation des sikhs à la Chambre des communes et au Conseil des ministres a déjà été critiquée par certains. Sous le couvert de l’anonymat, un libéral a reproché ce déséquilibre au gouvernement, au détriment d’autres groupes comme les Italiens, par exemple, qui ne sont pas représentés au Conseil des ministres.

Depuis leur élection, plusieurs membres de la communauté cherchent ainsi à se faire rassurants, dont Raj Grewal, qui vante les mérites d’une plus grande diversité au Parlement, en attendant de prendre sa photo officielle, après sa prestation de serment. « Quand vous emmenez des gens de différents horizons économiques et sociaux, vous obtenez une perspective différente. Et c’est la chose la plus importante », souligne cet avocat de 30 ans, fils d’un chauffeur de taxi arrivé au Canada il y a 35 ans.

« Nous sommes tous ici pour nous assurer que les Canadiens de partout ont un meilleur pays dans lequel travailler, vivre et pour que les générations futures soient en meilleure position que nous l’avons été. »

LES MEMBRES DE LA COMMUNAUTÉ SIKHE AU CANADA

2011

Le conservateur Tim Uppal devient le premier sikh portant un turban à devenir ministre au Canada

48 000

Nombre de personnes d’origine indienne au Québec

9000

Nombre de personnes de religion sikhe au Québec

11 000

Nombre de personnes qui ont le pendjabi comme langue maternelle au Québec

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