Affaire Maillé

Le combat d’une chercheuse pour protéger ses sources

VICTORIAVILLE — Un tribunal peut-il obliger une scientifique à dévoiler des témoignages obtenus dans le cadre de ses recherches ? C’est la question qui a été débattue, hier, au palais de justice de Victoriaville, au sujet du Parc éolien de l’Érable. Appuyée notamment par le scientifique en chef du Québec et des institutions universitaires, la chercheuse Marie-Ève Maillé a tenté de faire tomber une décision qui l’oblige à remettre sa thèse de doctorat à une entreprise. Le point en six questions sur ce procès qui interpelle le milieu scientifique québécois.

Qui est Marie-Ève Maillé ?

Mme Maillé est aujourd’hui professeure associée à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et présidente d’une entreprise vouée au renforcement des collectivités. Entre 2006 et 2012, elle a fait sa thèse de doctorat sur l’acceptabilité sociale d’un parc éolien installé à Saint-Ferdinand et à Sainte-Sophie-d’Halifax, près de Victoriaville. Elle a alors interviewé 93 citoyens de la région et «  mesuré la division sociale provoquée par le projet », a-t-elle résumé à La Presse.

Pourquoi l’a-t-on obligée à dévoiler ses recherches ?

En 2014, un groupe d’environ 500 citoyens a intenté un recours collectif contre le promoteur du projet, l’entreprise Éoliennes de l’Érable. Ces citoyens se plaignent du bruit, de la dévaluation de leurs maisons et de la dégradation du climat social provoqués par les éoliennes. L’avocat qui pilote le recours, Me David Bourgoin, a alors annoncé vouloir faire comparaître Mme Maillé comme témoin expert pendant le procès. Le 13 janvier 2016, le juge Marc Saint-Pierre, de la Cour supérieure, a ordonné à Mme Maillé de remettre sa thèse de doctorat et son agenda de recherche à l’entreprise Éoliennes de l’Érable afin de lui permettre de préparer sa défense.

Que s’est-il passé hier ?

Malgré l’ordre de la cour, Mme Maillé n’a jamais remis les documents exigés, expliquant ne pas vouloir trahir la confiance des citoyens qui se sont confiés à elle. Hier, au palais de justice de Victoriaville, elle a demandé au même juge Saint-Pierre de revenir sur sa décision. Fait particulier, trois associations avaient déployé des avocats pour soutenir Mme Maillé en cour : l’UQAM, où Mme Maillé a obtenu son doctorat, les Fonds de recherche du Québec, qui ont financé en partie ses recherches doctorales, et l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université. En tout, pas moins de sept avocats ont plaidé en sa faveur.

Que contiennent exactement les documents visés ?

On en a beaucoup appris en cour, hier, à ce sujet. Les témoignages recueillis par Mme Maillé pendant ses recherches documentent abondamment les « chicanes de voisins » provoquées par le projet de parc éolien. La chercheuse a notamment demandé aux interviewés de nommer les gens avec qui les relations se sont dégradées. Selon les avocats du Fonds de recherche du Québec, certains citoyens interrogés se sont même laissés aller à faire des menaces à d’autres membres de la communauté pendant les entrevues, ou même à souhaiter la mort de certaines personnes.

Qu’a plaidé le camp Maillé ?

En substance, les avocats de Mme Maillé ont plaidé que le fait de remettre les documents demandés trahirait la confidentialité des échanges entre la chercheuse et les citoyens interrogés. Ils ont établi des parallèles avec la nécessité de préserver les sources des journalistes, mais aussi invoqué deux causes impliquant directement des chercheurs (voir encadré). Les avocats de l’UQAM ont souligné que les gens interviewés avaient signé un formulaire qui leur assurait la confidentialité de leurs propos avant de participer. Les Fonds de recherche du Québec (FRQ) ont déposé une déclaration sous serment rédigée par le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, en soutien à Marie-Ève Maillé. Selon l’avocat des FRQ, Mathieu Piché-Messier, obliger Mme Maillé à remettre ce matériel créerait une « brèche » qui minerait la participation aux projets de recherche. Notons que l’avocat qui pilote le recours collectif a maintenant renoncé à faire témoigner Mme Maillé comme témoin expert. Ce changement, selon lui, rend la divulgation de sa thèse de doctorat non nécessaire.

Qu’a plaidé les Éoliennes de l’Érable ?

L’entreprise a fait valoir que même si Mme Maillé ne témoignera plus comme experte, l’avocat qui dirige le recours collectif veut toujours la faire témoigner comme « témoin ordinaire ». L’avocate de l’entreprise, Me Isabelle Landry, soutient que les seules informations qui seront présentées proviendront alors quand même de ses recherches doctorales. « On veut savoir quelle est la détérioration sociale qui nous est reprochée », a-t-elle résumé, affirmant que cette information était nécessaire pour pouvoir présenter une « défense pleine et entière ». L’entreprise a aussi soumis des points de droit pour plaider que Mme Maillé, qui n’est pas directement impliquée dans le recours collectif des citoyens contre les Éoliennes de l’Érable, ne peut légalement demander au juge Saint-Pierre de revoir son ordre de remettre des documents.

Deux précédents

Dans l’affaire très médiatisée de Luka Rocco Magnota, la Cour supérieure avait déterminé que la police ne pouvait mettre la main sur une entrevue vidéo faite avec le présumé meurtrier par des chercheurs d’Ottawa. Tout récemment, la Cour supérieure a aussi protégé des données sur les personnes transgenres recueillies par des chercheurs de l’Université de Western Ontario, que voulait consulter le procureur général du Québec.

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