OPINION

La Presse, entreprise d’économie sociale ?

Nous le souhaitons vivement et invitons ses dirigeants, travailleurs, clients et lecteurs à appuyer pleinement un tel choix

En annonçant sa transformation en fiducie d’utilité sociale, une forme d’organisation considérée pour l’essentiel comme un organisme à but non lucratif (OBNL), La Presse fait son entrée dans le monde de l’économie sociale… peut-être.

L’annonce en a surpris plusieurs, moi le premier. Est-ce que La Presse viendrait vraiment rejoindre les quelque 7000 entreprises d’économie sociale du Québec qui produisent et vendent des biens et services en exploitant des entreprises solides financièrement et utiles socialement ?

Poids financier

Les motivations invoquées suscitent des réactions mitigées. D’abord, la motivation première semble de libérer Power Corporation du poids financier que représente La Presse, ce que nous pouvons facilement concevoir pour une entreprise qui vise d’abord le profit. Ensuite, la transformation en OBNL permettrait à l’entreprise de convoiter des aides financières publiques. Sous plusieurs aspects, ces deux motivations nous laissent songeur.

Nous ne pouvons énumérer toutes les entreprises privées qui ont reçu et reçoivent des subventions de toutes sortes. Contrairement à ce qu’on pense trop souvent, ce soutien gouvernemental dépasse d’ailleurs de loin l’ensemble des sommes consenties aux entreprises d’économie sociale. Dans un cas comme dans l’autre, la contribution de l’État est importante, légitime, voire essentielle.

Il est cependant compréhensible que les gouvernements aient des réticences à accorder leur aide à une famille richissime.

Transformer une entreprise privée en OBNL pour réussir à obtenir sous une autre forme juridique ce qu’on ne peut avoir dans la forme d’origine soulève inévitablement quelques doutes. 

Sans pour autant simplifier l’opération à une manière de rechercher autrement le profit, le moins qu’on puisse attendre d’une telle transformation, c’est qu’elle ne se résume pas non plus à une simple recherche d’un nouveau modèle financier.

Certes, qu’elles soient privées ou collectives, toutes les entreprises aspirent à une viabilité financière. Mais ce qui distingue l’économie sociale, c’est qu’elle vise d’abord et avant tout à répondre à un besoin qu’elle énonce sous la forme d’une mission et qu’elle se dote, pour ce faire, d’une structure juridique privilégiant à la fois une gouvernance démocratique et le réinvestissement des surplus financiers dans la réalisation de sa mission.

Pour ce qui est de La Presse, dans un contexte où l’accès à l’information est un enjeu d’utilité publique, on peut sans difficulté penser que le besoin est manifeste et que la mission de l’organisation est cruciale. Reste à espérer maintenant qu’elle prendra le dessus sur les motivations financières et guidera la transformation à venir.

La gouvernance

Un autre aspect soulève quelques questions. Qu’en sera-t-il de la gouvernance ? Dans une entrevue à Gérald Fillion, le président de La Presse évoquait le scénario d’une fiducie sociale où un seul fiduciaire, nommé de surcroît par la direction actuelle de La Presse et l’actionnaire majoritaire de Power Corp., nommerait le reste des membres du conseil d’administration.

À première vue, on est loin d’une gouvernance démocratique où chaque membre dispose d’un droit de vote pour le choix des administrateurs et l’adoption des règlements généraux encadrant le fonctionnement de l’organisation.

Cet aspect apparaît comme une faiblesse du modèle choisi pour assurer la pérennité de cet outil d’information.

Depuis cette annonce, plusieurs observateurs soulignent que La Presse pourrait ainsi obtenir un meilleur soutien de la communauté, ce qui contribuerait directement à sa solidité financière. Le syndicat y voit également la possibilité d’une plus grande transparence et d’une gestion davantage participative. Autant de caractéristiques fondamentales de l’économie sociale. 

Pourra-t-on affirmer bientôt que La Presse se joint à la grande famille des entreprises collectives ? Nous le souhaitons vivement et nous invitons chaleureusement ses dirigeants, ses travailleurs et tous ses clients et lecteurs à appuyer pleinement un tel choix qui transformerait de manière significative le paysage médiatique du Québec.

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