Noël Picard et la photo qui ne veut pas disparaître

Noël Picard a vécu 78 ans, et pendant un grand bout de sa vie, la photo l’a accompagné partout.

Dans le bar de son populaire restaurant, à Cuba, au Missouri. À un mur de la maison familiale. À un mur de sa dernière maison à Montréal, là où il s’est assuré de la mettre bien en évidence pour que tout le monde la voie, pour que tout le monde se rappelle ce qui était arrivé à Boston par un chaud soir de mai 1970.

Pourtant, sur la photo, ce n’est pas lui qui est le héros. Ce rôle revient plutôt à Bobby Orr, les bras droit devant, le visage tendu, qui vole sur la glace après avoir marqué le but gagnant du quatrième match de la finale de la Coupe Stanley sur la glace du vieux Garden de Boston.

Mais on y voit très bien Noël Picard. Il est là, juste derrière, en train de lancer un regard sévère en direction d’Orr, à qui il vient tout juste de faire sauter les patins à l’aide de son bâton. Les deux hommes ne pouvaient l’imaginer sur le coup, mais cette photo allait les suivre pour le reste de leur vie, leur permettre de rester côte à côte à tout jamais dans le grand livre de la Ligue nationale de hockey.

« Ce n’est pas mon père qui a le beau rôle sur la photo, parce que ce n’est pas le dénouement qu’il voulait. Mais il n’a jamais été amer face à ça. »

— Daniel Picard, fils de Noël Picard

Noël Picard, robuste défenseur, a joué pendant trois autres saisons après le but et la photo, et il a pris sa retraite à la suite d’un bref passage chez les Flames d’Atlanta au terme de la saison 1972-1973. Mais la photo, elle, n’a jamais pris sa retraite. Elle l’a suivi jusqu’à son dernier souffle, immuable, comme si elle était immunisée contre les ravages du temps.

« Pendant des années, les gens ont envoyé des reproductions de la photo à mon père par la poste, pour qu’il les signe et les retourne ensuite », raconte Daniel Picard.

« Je recevais moi-même des reproductions de la photo à mon domicile ! Et puis quand mon père était invité à un congrès de collectionneurs, il pouvait signer plus de 100 copies de la photo en quelques heures seulement. Ça ne l’a jamais dérangé, mais je ne l’ai jamais entendu parler du jeu en tant que tel. Est-ce que quelqu’un a fait une erreur sur le jeu ? Est-ce que l’équipe aurait dû faire quelque chose de différent pour empêcher Orr de marquer ? Ça, il n’en parlait jamais. »

« Ça s’est passé très rapidement »

Sur la photo, Bobby Orr, Noël Picard et Glenn Hall, le gardien des Blues, semblent tous figés dans le temps, comme si l’action s’était déroulée au ralenti, dans un film en noir et blanc. Mais dans la réalité, ça s’est passé très vite.

Jean-Guy Talbot, qui était souvent le partenaire de Picard cette saison-là à la ligne bleue des Blues, s’en souvient encore très bien, lui qui était sur la glace quand Orr a pris son envol.

« Ça c’est passé très rapidement, a raconté Talbot en entrevue téléphonique avec La Presse. La rondelle était sur le bord de la bande et j’ai voulu la sortir de la zone, mais elle a touché le patin d’Orr, avant de se retrouver vers l’arrière, sur le bâton de [Derek] Sanderson, qui l’a redonnée à Orr, et puis là, ça n’a pas pris de temps… Bobby Orr était rapide et demeure le meilleur défenseur que j’ai jamais vu.

« Alors Orr a tiré, et en marquant, il a voulu lever les bras pour célébrer, et c’est là que Noël l’a envoyé dans les airs… mais quand tu viens de marquer le but gagnant pour la Coupe Stanley, une chute comme ça, ça ne fait pas mal du tout ! »

Jean-Guy Talbot a revu à l’occasion Noël Picard et Bobby Orr au fil des ans, et chaque fois, la célèbre photo a été un bon sujet de discussion. « C’est une photo qui est devenue célèbre parce qu’une scène comme ça, on ne voit pas ça souvent », ajoute l’ex-défenseur, aujourd’hui âgé de 86 ans.

« Quand on revoyait Bobby Orr plus tard, on le taquinait avec ça, on lui disait qu’on lui avait laissé des chances… »

— Jean-Guy Talbot

Aujourd’hui, Noël Picard n’est plus ici, puisqu’il est mort il y a deux ans. Mais la photo demeure. Elle traverse bellement le temps, comme une œuvre qui survit aux goûts et aux époques. Celle qui avait naguère appartenu à Noël Picard lui-même, signée par Bobby Orr, se trouve maintenant dans la résidence de son fils, en banlieue de St. Louis.

Daniel Picard jure qu’il ne va rien rater de la grande finale entre les Blues et les Bruins, qui va s’amorcer lundi soir à Boston. Ce sera la première fois que les deux équipes s’affronteront en finale depuis la photo.

Quelque part, Noël Picard doit encore sourire.

Coupe Stanley

Des retrouvailles, 49 ans plus tard

Voir la célèbre photo de Bobby Orr marquant le but gagnant de la Coupe Stanley en 1970 pour battre ses Blues de St. Louis ne ravive pas de mauvais souvenirs chez Scotty Bowman.

« Pas vraiment, a déclaré le légendaire entraîneur. Parce que nous n’avons pas été en position de gagner cette série. » Orr et les Bruins avaient surclassé les Blues.

Aujourd’hui, 49 ans plus tard, les Bruins se retrouvent en ronde finale pour la troisième fois en neuf ans et les Blues y sont pour la première fois depuis 1970 dans une confrontation opposant deux des meilleures équipes de la LNH depuis le 1er janvier.

« Maintenant, ça devrait être plus serré, a dit Bowman. Les Blues ne laissent pas beaucoup d’espace pour manœuvrer et leur gardien a été formidable. »

Les Bruins, qui viennent de balayer les Hurricanes de la Caroline, sont quand même les favoris dans la série, qui débutera lundi soir (20 h) à Boston.

Le gardien Tuukka Rask pourrait remporter le trophée Conn Smythe en qualité de joueur le plus utile des séries éliminatoires, l’attaquant Brad Marchand excelle avec 18 points en 17 matchs et de nouveaux joueurs désireux de faire graver leur nom sur le trophée coexistent avec des vétérans de l’équipe triomphante de 2011.

« Je pense qu’en vieillissant, vous réalisez à quel point il est difficile d’arriver à ce point, a dit le centre Patrice Bergeron. Mais ensuite, c’est le retour au travail, et il y a beaucoup de boulot devant nous. »

Bons derniers

Les Blues affichaient le pire rendement du circuit le 3 janvier, avec 34 points en 39 matchs. Ils ont depuis éliminé les Jets de Winnipeg, les Stars de Dallas et les Sharks de San Jose.

Craig Berube, qui a remplacé Mike Yeo en tant qu’entraîneur-chef des Blues en novembre, a déclaré que les équipes préféreraient éviter ces moments difficiles. Mais ils ont rendu ses joueurs plus forts.

« Une fois que nous avons été lancés en janvier et en février, je savais que nous avions une bonne équipe. Une fois en séries, tout peut arriver. »

— Craig Berube, entraîneur-chef des Blues de St. Louis

Le jeune gardien Jordan Binnington est épatant, lui dont le premier départ en carrière a sonné le début de la relance des Blues, en janvier.

Ils ont adopté Gloria, la chanson à succès de Laura Branigan dans les années 80, et on a découvert l’histoire touchante de la jeune partisane Laila Anderson, qui souffre d’une maladie immunitaire qui menace sa vie.

« Les deux derniers mois en ville ont été fous, a déclaré l’attaquant Vladimir Tarasenko. Le soutien est incroyable. Les partisans nous donnent beaucoup d’énergie. »

Les Blues sont la plus vieille organisation à ne pas avoir remporté la Coupe Stanley. En ce moment, une seule équipe connaît une disette plus longue que la leur, les Maple Leafs de Toronto.

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