Chronique

Je suis Charlie, mais surtout pas Martineau

Le monde musulman est en colère. Depuis quelques jours, la télévision nous bombarde d’images de drapeaux français qui brûlent, d’églises qui flambent, d’hommes agités qui condamnent le journal satirique Charlie Hebdo qui a osé, encore une fois, dessiner leur prophète.

Que comprend-on de cette colère ? Pas grand-chose. Qui sont ces hommes qui vocifèrent ? Une poignée de têtes brûlées manipulées par des intégristes ? On n’en sait rien. Le Québec n’a aucun correspondant dans des pays musulmans, sauf Marie-Ève Bédard, de Radio-Canada, basée au Liban.

On ne peut pas balayer cette colère du revers de la main en se disant : tous des ignares qui ne comprennent rien à la liberté d’expression. Il faut essayer de comprendre cette colère.

Je suis Charlie, même si je trouve parfois l’humour de Charlie Hebdo douteux. Je suis Charlie parce que j’aime leur esprit libre et irrévérencieux, leur vieux fond anarchiste, leurs coups de crayon impitoyables, où ils se permettent de rire des intégristes, toutes religions confondues, juive, catholique, musulmane.

L’équipe de Charlie Hebdo a bien fait de mettre Mahomet en une. C’était la réponse logique à une violence inouïe, soit la quasi-décapitation de leur salle de rédaction. Ils ont dessiné une version soft du prophète. Mahomet verse une larme en tenant une pancarte Je suis Charlie. Au-dessus, on peut lire : « Tout est pardonné ».

Soft ou non, les musulmans refusent que leur prophète soit dessiné. Ce n’est pas écrit dans le Coran, il s’agit plutôt d’une tradition. On a le droit de trouver cette interdiction idiote. Chaque religion a ses interdits et ses rituels souvent incompréhensibles pour les profanes. Je suis athée, je n’aime pas les religions, je ne les comprends pas, mais je les tolère. Et je ne les insulte surtout pas.

C’est facile de taper sur les musulmans. Ils sont souvent parqués dans des pays pauvres en proie au terrorisme. En France, les musulmans sont économiquement et socialement vulnérables. Ils sont considérés comme des citoyens de seconde zone, même si beaucoup d’entre eux sont nés en France. Ils détestent le journal Charlie Hebdo, mais ils le tolèrent. Ce ne sont pas eux qui ont tué les journalistes, mais deux intégristes qui se réclamaient d’Al-Qaïda, deux Français nés en France, deux enfants de ce pays qui les a si mal accueillis.

Je ne dis pas qu’il ne faut plus caricaturer Mahomet, je dis seulement qu’il faut faire preuve de sensibilité, d’ouverture. Charlie Hebdo va finalement être publié à sept millions d’exemplaires. La colère du monde musulman ne semble pas se calmer. Que fait-on avec notre liberté d’expression qui sème la mort ? Et que fera-t-on si Charlie Hebdo met encore Mahomet en une dans son prochain numéro ?

On tient un baril de poudre dans une main et un chalumeau dans l’autre. On est en train de les rapprocher dangereusement.

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J’ai été quelques fois au Pakistan, un pays complexe où on ne badine pas avec le prophète. Il existe une loi sur le blasphème. Quiconque insulte le prophète est passible de prison et même de la peine de mort. En 2011, j’avais raconté l’histoire d’une chrétienne, Asia Bibi, condamnée à mort parce qu’elle avait involontairement insulté le prophète. Une histoire absurde, comme seul un pays torturé comme le Pakistan peut en fabriquer.

La loi sur le blasphème existe depuis 1860. Elle a été créée par les Britanniques (!), mais c’est le général Zia Ul-Haq qui a introduit la peine de mort dans les années 1980.

J’avais rencontré des avocats, musulmans progressistes, qui en avaient ras le bol des terroristes et des djihadistes qui foutaient le bordel dans leur pays. Ils détestaient ben Laden, qui n’avait apporté que malheurs et instabilité au Pakistan. Les avocats se serraient les coudes et osaient se battre contre le gouvernement corrompu.

Des avocats sont descendus dans les rues de Karachi pour protester contre la une de Charlie Hebdo. Difficile de croire que les manifestants ne sont que des têtes brûlées manipulées par des intégristes.

Il ne faut pas jeter de l’huile sur le feu, mais il ne faut pas non plus sacrifier notre liberté d’expression, un équilibre délicat, une gymnastique presque impossible, mais nécessaire.

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Parlant d’ouverture d’esprit, Richard Martineau, du Journal de Montréal, a écrit deux chroniques, où il engueule (encore) les journalistes de La Presse à cause de leurs positions modérées. Quand on parle de religion, il est préférable de laisser son bazooka au vestiaire.

Il m’a traitée de minable et il m’a même accusée de me mettre à plat ventre devant les musulmans parce que j’ai écrit que « Charlie Hebdo avait uni la France, mais aussi exacerbé des tensions et des frustrations ». Une évidence. Selon Martineau, je laissais entendre que « les journalistes de Charlie Hebdo avaient récolté ce qu’ils avaient semé ». Une conclusion aberrante.

Martineau n’argumente pas, il enligne les injures et déforme les écrits. Il manque de faits, de terrain. C’est ce qui arrive quand on fait du journalisme de salon.

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