Biennale internationale d’estampe contemporaine de Trois-Rivières

Gravée dans la modernité

Si la 9e Biennale internationale d’estampe contemporaine de Trois-Rivières (BIECTR) est un miroir sur les cultures du monde, elle reflète aussi l’évolution d’un art pratiqué dès le VIIsiècle en Chine. L’estampe se frotte aujourd’hui aux nouvelles technologies et se perpétue grâce au génie sans limites des artistes.

Art dépassé, l’estampe ? Oh que nenni ! Le jury de la 9e BIECTR – dont faisait partie l’artiste et professeur montréalais François Morelli – a reçu 385 dossiers de candidats provenant d’une cinquantaine de pays. L’engouement pour l’estampe ne se dément pas, partout dans le monde. Il faut dire que cet art s’apparentant souvent à un travail de moine laisse pleine liberté au graveur de décliner son travail comme il l’entend.

On trouve ainsi à la BIECTR des œuvres sur papier accrochées au mur, des sculptures, des installations au sol et même une vidéo. Les techniques rencontrées sont notamment l’eau-forte, la linogravure, la lithographie, la manière noire, la pointe sèche ou encore le bois gravé. Chacun des 57 artistes sélectionnés présente un corpus de cinq à sept œuvres accompagnées d’un texte explicatif, ce qui permet d’avoir une bonne idée de sa démarche. Les commissaires Jo Ann Lanneville (présidente de la BIECTR) et Élisabeth Mathieu (directrice artistique) ont choisi de présenter les 300 œuvres selon 10 regroupements par affinité de sujets.

Les estampes sont exposées à la galerie d’art du Parc, au centre d’exposition Raymond-Lasnier de la maison de la culture locale, au musée Pierre-Boucher et dans une salle de l’ancienne gare ferroviaire. Cette multiplicité de lieux fait de la biennale une véritable promenade culturelle avec une atmosphère différente au sein de chaque espace d’exposition.

GALERIE D’ART DU PARC

À la galerie d’art du Parc, on trouve en ouverture une installation de Martine Souren constituée d’estampes de bois gravé représentant des « héroïnes ». Pour cette œuvre, l’artiste belge a reçu le prix Invitation Presse Papier. Tout près, nous avons bien aimé le travail de burin du Portoricain Martin Garcia-Rivera, avec ses personnages caricaturés, et la gravure au carborundum de la Norvégienne Ellen Karin Maehlum qui donne à ses paysages des allures de peintures. Elle a obtenu une mention honorable du jury.

La Suissesse Sandra Baud a obtenu le prix Banque Nationale pour ses linogravures soignées, reliées au corps masculin et féminin et à l’importance de respecter l’environnement. Dans un style typiquement belge alliant humour et préoccupation sociale, Frederik Langhendries a créé Boxes in Transit, une installation avec une cinquantaine de boîtes de carton sérigraphiées avec des images de conteneurs commerciaux. Il a apporté son œuvre sur de vraies palettes de manutention portuaires et l’accompagne d’une vidéo qui montre sa création à Anvers et son arrivée à Trois-Rivières. 

Visionnez la vidéo : www.youtube.com/watch?v=hwJePeBlDRQ

De belles eaux-fortes en couleurs de la Norvégienne Giske Sigmundstad portent sur les thèmes de la chasse, de la pêche et des travaux domestiques, et celles, en noir et blanc, de l’Albertaine Jill Ho-You, à la fois délicates et scientifiques, sur les parties du corps humain.

MUSÉE PIERRE-BOUCHER

Dans ce musée situé au Séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières, on a bien aimé les eaux-fortes de la Française Karine Laymond, avec ses complexes immobiliers inachevés et envahis par la végétation, ainsi que le travail délicat de Marta Lech. Dans ses linogravures, la Polonaise crée des espaces intérieurs à la fois mystérieux et tranquilles. Sa technique est originale. Ses successions de petites tailles produites avec des lames ou des poinçons créent une lumière magnifiquement suggérée.

Et puis, il y a les étonnantes sculptures de la Torontoise Yael Brotman, qui fabrique ses œuvres à partir de baguettes de polystyrène recouvertes d’eaux-fortes sur papier Kurotani. Elle crée des structures architecturales complexes qui illustrent combien l’estampe mène à des déclinaisons originales.

ANCIENNE GARE FERROVIAIRE

Dans ce local qui ferait une très belle salle d’exposition permanente, deux artistes nous ont particulièrement intéressé. Justin Diggle, d’abord. L’Américain réalise des eaux-fortes sombres et suggestives sur la vidéosurveillance, des œuvres dans lesquelles on retrouve ce relief relié à la technique de découpe de la matrice gravée. Et puis, les très grandes linogravures du plus bel effet de la Française Ariane Fruit exécutées à partir de photos prises dans le métro. Un travail techniquement réussi et très actuel.

CENTRE RAYMOND-LASNIER

Finalement, le centre d’exposition de la maison de la culture de Trois-Rivières présente les œuvres qui nous ont paru les plus marquantes de cette biennale. Parmi ces créations, celles très politisées et richement colorées du Cubain Ernesto Miguel Blanco Sanciprián ou encore les grandes estampes de la Néo-Écossaise Ericka Walker, qui utilise le genre de l’affiche et du slogan avec assurance.

Les réalisations très techniques et au parfum plutôt traditionnel de l’Australien Rew Hanks sont des linogravures fortes évoquant des pans de l’histoire de son pays. Il y insère des éléments humoristiques voire absurdes très plaisants.

Beaucoup d’humour aussi et de dénonciation dans le travail de l’Américain Carlos Barberena, qui reprend des tableaux classiques, notamment une gravure de Gustave Doré, pour égratigner des empires économiques tels que Coca-Cola, McDonald’s ou Monsanto. Dans ce dernier cas, il a réalisé une linogravure au point de vue sans ambages ni équivoque : les grains d’un épi de maïs sont de petits crânes humains.

De son côté, l’Iranien Mehdi Darvishi étire l’élastique sans le rompre avec des œuvres intenses et tragiques sur la condition humaine, des estampes en taille-douce qui parlent de la situation sociale et politique de son pays. Le jury a été touché et lui a décerné le Grand Prix de la biennale, une récompense récemment soulignée par le quotidien iranien The Tehran Times.

Enfin, un des artistes phares de cette biennale s’appelle Wal Chirachaisakul. Jeune Thaïlandais, il maîtrise à la perfection la gravure en manière noire (ou mezzotinte), une technique qui fait ressortir des effets de lumière délicats. À mi-chemin entre tradition et modernité, ses portraits sont empreints de réflexions sur les relations humaines et la quête de sérénité. Son père avait gagné le Grand Prix de la biennale il y a deux ans. Il sait de qui tenir.

LA BIECTR

Concours international doté de prix, la BIECTR se compare à d’autres importantes expositions d’estampes parmi lesquelles on trouve celles de Liège (Belgique), Douro (Portugal), Belgrade (Serbie) et Guanlan (Chine). En comptant les expositions parallèles, la BIECTR a accueilli 83 000 personnes en 2013. Quelque 65 % des visiteurs provenaient de l’extérieur de la Mauricie.

Consultez le site de la biennale http://www.BIECTRca/

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