OPINION SANTÉ

Un système sous les assauts répétés de son ministre

Les réformes devraient interpeller la population et faire l’objet d’un véritable débat de société plutôt que d’être instaurées de manière sournoise et autoritaire

Je pratique la pneumologie à Québec depuis maintenant 25 ans. Mon enthousiasme vis-à-vis de cette profession est toujours intact. J’ai la chance d’intervenir auprès de plusieurs personnes qui vivent un état de vulnérabilité et qui m’offrent leur confiance afin que je puisse les guider au meilleur de mes connaissances.

À cette occasion qui m’est offerte s’associe la responsabilité de proposer des soins répondant aux normes de qualité les plus élevées. Je constate malheureusement, comme plusieurs de mes collègues, que l’environnement au sein duquel j’évolue se détériore année après année, ce qui compromet ma capacité à remplir mes obligations envers la population. Ceci est en lien direct avec la lourdeur administrative qui m’est imposée et dont le principal objet est le contrôle des coûts de santé, trop souvent au détriment de la qualité des services.

Je m’adresse ici à mes concitoyens afin de les sensibiliser davantage aux assauts répétés dont est victime notre système de santé et qui, à terme, compromettront la qualité des soins médicaux pour tous les Québécois.

Le corps médical est interpellé par cette déplorable situation, mais il ne peut agir seul pour protéger la médecine québécoise. La population doit se faire entendre fortement et doit bien comprendre les enjeux actuels. Il en va de l’avenir de notre médecine.

Notre système de santé est entré dans une ère militaire. Notre ministre est autoritaire et vise à s’arroger tous les pouvoirs. La centralisation du pouvoir décisionnel en santé est préoccupante, d’autant plus que les décisions sont prises sans validation auprès des experts, d’ailleurs ni même auprès de la population. Nos administrateurs nous parlent maintenant de « chaîne de commandement », comme dans l’armée !

En réponse à des préoccupations grandissantes relatives à l’impact de décisions administratives sur la qualité des soins, nous nous faisons répondre : « Vous avez raison, docteur, mais on ne fera pas comme ça. » La centralisation des analyses de laboratoire par la démarche Optilab est un bel exemple de catastrophe annoncée : cette centralisation ne peut qu’augmenter les délais d’analyses des échantillons sanguins et tissulaires, ce qui retardera d’autant plus la prise en charge et la durée des séjours aux urgences et dans les hôpitaux. En réponse à nos préoccupations sur la détérioration de la qualité des soins qui suivra l’implantation d’Optilab, on nous demande de « cesser d’être capricieux » et on nous répond qu’un haut niveau de qualité dans la prestation des services n’est pas nécessaire ! Tout ceci est déroutant et très inquiétant.

Après la loi 10 et la loi 20, le Ministère, sous la gouverne de Gaétan Barrette, vise maintenant l’adoption de la loi 130, une calamité dont les conséquences sur la qualité de la médecine offerte au Québec sont incalculables. Il y a fort à parier que la loi 130 alourdira la machine administrative qui aura pour mission de tout contrôler – et à grands frais – sans produire de gain sur les services de santé. 

Prétendre que la réforme actuelle du système de santé vise à améliorer la qualité et l’accessibilité aux soins est un leurre. L’objectif premier de cette refonte est de garantir au ministre les pleins pouvoirs décisionnels afin de limiter plus facilement la croissance des coûts de santé.

De surcroît, le ministre vise à assujettir les médecins à des règles administratives encore plus lourdes et à contrôler tous les aspects de leur travail, incluant les décisions médicales propres à la prestation des services. Si nous n’intervenons pas, nous nous dirigeons tout droit dans un environnement où des décisions cruciales concernant la santé des personnes ainsi que les traitements qui pourraient s’ensuivre seront dictés par des gestionnaires. Si, comme moi, vous préfériez vous en remettre au jugement d’un expert médical dont le premier intérêt est votre santé et non le budget de l’État, vous devriez être très inquiétés par les volontés ministérielles.

L’évolution des dernières années en matière de santé m’a convaincu de l’importance capitale de préserver l’autonomie de la profession médicale vis-à-vis du gouvernement. J’assimile cela à l’autonomie de nos cours de justice dont les décisions doivent être indépendantes de la volonté gouvernementale ou ministérielle.

De par sa position de gestionnaire et ses préoccupations financières grandissantes, le gouvernement est nécessairement dans une position conflictuelle ; il ne lui est pas possible de veiller en même temps et équitablement à ses deux missions contradictoires qui concernent la qualité des soins et les coûts de santé. Il n’est donc pas souhaitable que la population québécoise s’en remette à ses seuls gestionnaires en matière de santé. Elle doit pouvoir compter sur un contrepoids dont le seul intérêt est celui d’offrir une médecine qui répond aux plus hautes normes de qualité.

Par le passé, les agences régionales ainsi que les directeurs généraux des établissements de santé contribuaient à maintenir l’équilibre des forces en matière de santé et pouvaient freiner les ardeurs ministérielles lorsque celles-ci étaient porteuses de mauvaises solutions pour les Québécois. Aujourd’hui, les agences régionales ont été éliminées et les directeurs généraux d’établissement sont réduits au silence sous peine de voir leur carrière compromise.

Je reconnais que le corps médical n’a pas offert une prestation sans faute – notamment en ce qui a trait à l’accessibilité aux soins –, prêtant ainsi le flanc à la critique. Malgré tout, il me semble évident que les médecins sont plus que jamais le meilleur rempart dont les Québécois disposent devant le gouvernement qui sera toujours confronté au difficile exercice d’équilibre entre les coûts de santé et la qualité des soins.

Malheureusement, l’expérience des dernières années montre que, la plupart du temps, c’est l’aspect budgétaire qui est privilégié, au détriment de la santé des Québécois.

La tradition d’excellence médicale au Québec ne repose pas sur les gestionnaires. Elle s’est plutôt bâtie grâce aux efforts incessants du corps médical qui souhaite offrir à la population québécoise une médecine qui correspond à ce qui se fait de mieux dans le monde.

Les mécanismes administratifs sont déjà en place afin de faire en sorte que les médecins remplissent encore mieux leurs obligations envers la population. Je suis d’avis que c’est sur cette base qu’il faut travailler. Aliéner le corps médical à l’autorité ministérielle ne pourra que conduire à un nivellement vers le bas de la médecine. À terme, ce sont les Québécois qui feront les frais de cette démarche. Les réformes proposées de notre système de santé devraient interpeller la population et faire l’objet d’un véritable débat de société plutôt que d’être instaurées de manière sournoise et autoritaire.

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