Un deuxième avertissement clair ? Une note formelle au dossier ? Plus maintenant… Chez le fabricant de bains et douches Produits Neptune, la façon de gérer des retards, des manquements ou d’autres fautes s’est adoucie au cours des dernières années. C’est que le contexte de pénurie de main-d’œuvre rend les gens déjà en emploi encore plus précieux.
« Désormais, on est moins intransigeants, avoue le directeur général Alexandre Marchand. Il faut rester ferme, mais on n’est plus dans les avis qui conduisent à des suspensions, par exemple. On privilégie la sensibilisation avant les notes au dossier. »
L’énergie de la direction dans un tel contexte est plus orientée « vers le développement des forces des employés que vers les correctifs et la réprimande », résume Isabelle Bédard, PDG de CIB Développement organisationnel.
Car le constat est clair et partagé par bien des entreprises actuellement : la rétention des employés est une préoccupation. « Elle est énorme, car les entreprises ont besoin de gens qualifiés, lance France Dufresne, directrice, talents et rémunération, de Willis Towers Watson. Elles ne restent pas inertes. Elles doivent être concurrentielles et productives. Donc elles doivent avoir les meilleurs employés. »
« On veut prendre soin de ceux qu’on a ! », lance Nathalie Lehoux, présidente de Pacini.
Les directions et les services des ressources humaines ne s’en cachent pas : ils redoublent d’efforts pour conserver leurs employés et hausser leur degré d’engagement. Ils tendent davantage l’oreille, proposent des formations, affinent la conciliation travail-famille ou encore offrent un nombre appréciable de semaines de vacances en faisant fi de la variable « ancienneté ».
Chez l’entreprise de solutions d’affaires informatiques Kezber, les cinq semaines de vacances auxquelles avaient auparavant droit les employés lorsque sonnaient leurs 10 ans de loyaux services sont désormais offertes, depuis deux ans, à tout employé.
« On a pris cette décision, car un employé reposé et qui a une belle vie équilibrée a de meilleures performances. C’est ainsi plus facile pour l’attraction et la rétention. Ça nous rapporte. »
— Alan Kezber, président de l’entreprise Kezber
Depuis deux mois, Kezber offre un service virtuel de soins de santé qui donne rapidement et gratuitement accès à un professionnel de la santé aux employés et à leur famille. L’entreprise en assure complètement la facture.
Si la direction dit être soucieuse du bien-être de ses troupes depuis sa création il y a 20 ans, elle constate néanmoins que la rétention des employés est généralement plus critique que par le passé. « C’est une gestion quotidienne, dit Alan Kezber. Nos employés sont sollicités ailleurs. Ils doivent donc être satisfaits chez nous. Et c’est plus dur de trouver une ressource que de la garder. »
Plans de reconnaissance
En juin, Pacini organisera un premier gala pour récompenser une cinquantaine d’employés performants à l’occasion de son congrès annuel. Cette activité s’inscrit dans la foulée de la création, l’an dernier, d’un nouveau plan de reconnaissance. « On veut bien souligner le travail et les efforts de nos employés, explique Nathalie Lehoux. C’est fini, l’époque où on disait : “Tu fais ça !” L’emploi doit avoir du sens. »
Pacini essaie aussi d’accroître la collaboration entre collègues. Dans un milieu où les postes de cuisinier sont difficiles à pourvoir, le restaurateur encourage, par ailleurs, le partage des pourboires avec les cuisiniers.
« Il faut redoubler de créativité pour garder nos employés. On se bat tous pour le même bassin de personnes. Il n’y a pas de secret, il faut prendre autant soin d’eux que des clients. »
— Nathalie Lehoux, présidente de Pacini
« Les programmes de reconnaissance sont des avenues nécessaires, remarque Isabelle Bédard, de CIB, mais ne sont pas des éléments concurrentiels durables, car les compétiteurs vont être dans la surenchère. Le leadership doit primer avant tout, ainsi que la qualité du lien avec les collègues et les supérieurs. »
Les baby-boomers partent
L’attitude des gestionnaires avec leurs employés et la recherche de solutions pour soutenir le bien-être au travail sont d’autant plus nécessaires à la veille du départ à la retraite de nombreuses personnes. « La pénurie sera souffrante dans les prochaines années à cause notamment de la sortie des baby-boomers », note Nathalie Lehoux.
« L’an dernier, on a connu notre plus grosse année de retraites, raconte Nicolas Bilodeau, directeur des ressources humaines du transformateur de volaille Exceldor. On a noté un départ toutes les deux semaines à notre usine de Saint-Anselme. Il n’y a pas de crise chez nous, mais la pénurie de main-d’œuvre est une réalité qui s’accentue depuis deux ans. »
Comme chez Pacini, Exceldor a « remoulé » ses actions de reconnaissance. Ce qu’il appelait autrefois l’évaluation du rendement a été rebaptisé programme d’appréciation de la contribution. « On reconnaît les efforts, le savoir-être, les compétences, plutôt que de ne regarder que les résultats, indique Nicolas Bilodeau. On s’attarde à tous les aspects. »
Exceldor a aussi presque doublé les budgets en formation. « Parce qu’il y a une pénurie, on investit davantage dans la formation », confirme aussi Alexandre Marchand, de Produits Neptune.
« La masse devient ainsi meilleure. On crée une équipe forte, loyale, fidèle. On n’a pas le choix d’être un bon employeur en temps difficile. »
— Alexandre Marchand
Au cours des deux dernières années, Exceldor a aussi mis en place un programme pour un environnement sûr au travail. « Il faut s’occuper de la santé mentale, juge aussi Nicolas Bilodeau. Il faut de bonnes pratiques de la santé globale. On encourage les bons comportements. On veut s’assurer que les gens ont un équilibre et ne sont pas débordés. »
Mieux vaut ne pas être qu’en réaction, mais aussi faire de la planification ! « Car les “survivants” peuvent écoper de la surcharge de travail en période de pénurie, illustre Isabelle Bédard. Il y a un risque d’abuser des forces de l’entreprise. Les gestionnaires doivent donc être à l’écoute et très réceptifs à entendre les doléances des employés et à les accepter. »