cérémonies du gouvernement

Le clergé avant les élus

Québec — Au moment où Québec prône la laïcité de l’État, un décret toujours en vigueur accorde une place plus importante aux autorités de l’Église catholique qu’aux élus, sauf le premier ministre, dans les cérémonies du gouvernement. Les représentants d’autres religions passent également devant la plupart des députés.

Interpellé par La Presse sur cette situation, le gouvernement Legault dit mener des travaux pour « moderniser » ce décret.

Adopté en 1990, il établit un « ordre de préséance des autorités convoquées individuellement dans les cérémonies publiques organisées par le gouvernement du Québec ».

Les cérémonies en question comprennent les funérailles et les hommages nationaux, mais également une série d’autres activités publiques : prestation de serment du Conseil des ministres, discours sur le budget au Salon bleu, cérémonie du jour du Souvenir, activités du premier ministre lors de la fête nationale et remise des insignes de l’Ordre national du Québec.

L’ordre de préséance classe les titulaires d’une fonction selon l’importance qu’on leur reconnaît. Il sert à déterminer l’emplacement des invités dans une salle ou l’ordre des prises de parole, par exemple.

Place de choix à l’Église

Le lieutenant-gouverneur est en tête de liste de l’ordre de préséance. Vient ensuite le premier ministre. Au troisième rang, on retrouve « les cardinaux, suivis, lorsqu’il n’est pas cardinal, de l’archevêque catholique ayant le statut de primat ». Ce dernier est, au Canada, l’archevêque de Québec, le cardinal Gérald Cyprien Lacroix.

Selon l’ordre de préséance, ces représentants de l’Église catholique passent devant le président de l’Assemblée nationale, le juge en chef de la Cour d’appel, le vice-premier ministre, les chefs de postes diplomatiques, le chef de l’opposition et les ministres.

Le dixième rang est accordé à l’archevêque ou à l’évêque du territoire où se tient la cérémonie du gouvernement, « suivi des représentants des autres dénominations religieuses », pourvu qu’ils soient résidants du Québec.

Ces derniers ont une place plus importante dans la hiérarchie protocolaire que les députés et le maire de la ville où a lieu la cérémonie.

L’ordre de préséance est sous la responsabilité du Protocole du gouvernement du Québec, rattaché au ministère des Relations internationales.

« Les invitations destinées aux personnes identifiées dans l’ordre de préséance vont varier selon le type d’activité. Les autorités religieuses de toutes dénominations confondues ne sont pas systématiquement invitées aux cérémonies d’État. »

— Le ministère des Relations internationales du Québec

Le cardinal Lacroix a déjà été invité aux activités de la fête nationale. Sa dernière participation remonte au 24 juin 2016, alors que le gouvernement organisait une réception au Musée national des beaux-arts du Québec. L’automne dernier, le premier ministre François Legault lui a envoyé une invitation pour la prestation de serment de son Conseil des ministres. Mgr Lacroix n’a pu y assister en raison d’un empêchement.

« Il répond aux invitations des autorités civiles et, lorsque son emploi du temps le lui permet, il y participe », explique le directeur des communications du diocèse de Québec, Jasmin Lemieux-Lefebvre. Que penserait le cardinal s’il devait y avoir changement dans les pratiques ? « Il laisse le soin aux autorités compétentes de s’exprimer sur cette question », répond son porte-parole.

Le ministère des Relations internationales signale que l’évêque anglican a également été invité dans le passé. Il est possible, selon lui, que des invitations aient été faites à un imam, le guide religieux des musulmans. Mais le plus connu au Québec, Hassan Guillet, ancien porte-parole du Conseil des imams, dit n’avoir jamais été convié à une cérémonie du gouvernement.

Projet de loi 21

L’ordre de préséance actuel soulève des questions au regard du projet de loi 21 sur la laïcité de l’État. Le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, justifiait son texte législatif en disant qu’il faut « inscrire la laïcité de l’État comme principe formel, comme valeur fondamentale » devant être respectée par « nos institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires ». Il n’avait pas soufflé mot de l’ordre de préséance lors de sa conférence de presse.

Au cabinet de la ministre des Relations internationales Nadine Girault, on soutient que « le gouvernement travaille présentement sur l’ordre de préséance ».

« Le décret le concernant date de 1990, il est grand temps de le moderniser. »

— Maéva Proteau, porte-parole de la ministre des Relations internationales

La ministre n’a pas voulu accorder d’entrevue. « Nous vous reviendrons en temps et lieu », explique-t-on.

Établir un ordre de préséance est une pratique diplomatique répandue et reconnue internationalement, rappelle le Ministère. Au Québec, cet ordre « permet de hiérarchiser la place occupée par les dignitaires et représentants d’institutions lors de cérémonies publiques organisées par le gouvernement ». Cet outil est également « utilisé par la société civile pour déterminer dans quel ordre placer les dignitaires et dans quel ordre les prises de parole sont effectuées », ajoute-t-il.

À Ottawa, les autorités religieuses ont une place un peu moins importante. Selon le « Tableau de préséance pour le Canada », les « représentants des communautés de religion » figurent au 14e rang, derrière notamment les premiers ministres du Canada et des provinces, les présidents du Sénat et de la Chambre des communes, les ministres et le chef de l’opposition.

Un malaise qui ne date pas d’hier

Chef du Protocole du gouvernement du Québec de 2000 à 2003, Michel Gagné témoigne que l’ordre de préséance causait déjà un malaise à l’époque. « On jugeait que ce n’était plus d’actualité, ce qu’on voyait dans ce décret. Ça ne nous semblait plus refléter la réalité de la société québécoise du moment. Donc, on était conscients qu’il y avait des changements à faire », affirme-t-il. Il avait alors mandaté un groupe de travail afin de suggérer un nouvel ordre de préséance « tenant compte du déclin de l’importance de la religion dans la société ». Les autorités religieuses devaient ainsi occuper une place beaucoup moins importante. « Ce groupe avait abouti à des propositions que j’avais fait remonter dans la machine, mais qui n’avaient pas eu d’échos à ce moment-là. Ça n’avait pas franchi les murs du ministère. Ça m’avait désolé à l’époque. » 

— Tommy Chouinard, La Presse

Ordre de préséance au Québec

1. Le lieutenant-gouverneur

2. Le premier ministre

3. Les cardinaux, suivis, lorsqu’il n’est pas cardinal, de l’archevêque catholique ayant le rang de primat

4. Le président de l’Assemblée nationale

5. Le juge en chef de la Cour d’appel

6. Le vice-premier ministre

7. Le doyen du corps diplomatique et les chefs de postes diplomatiques

8. Le chef de l’opposition

9. Les membres du Conseil des ministres

10. L’archevêque ou l’évêque du lieu, suivi des représentants des autres dénominations religieuses

11. Le maire du lieu

12. Le doyen du corps consulaire de Québec, suivi du doyen du corps consulaire de Montréal, des chefs de postes consulaires ayant résidence dans la capitale, pour les événements qui s’y déroulent, et des autres chefs de postes, selon leur préséance respective

13. Les vice-présidents de l’Assemblée nationale

14. Les juges en chef de la Cour supérieure

15. Le député du lieu, suivi des membres de l’Assemblée nationale

16. Le secrétaire général du Conseil exécutif

17. Le président du conseil de l’Ordre national du Québec

18. Les juges en chef de la Cour du Québec

19. Les recteurs d’universités du lieu

20. Les juges de la Cour d’appel

21. Le chef de cabinet du premier ministre, suivi des sous-ministres

22. Les juges de la Cour supérieure

23. Le protecteur du citoyen, le directeur général des élections, le vérificateur général, les présidents des organismes gouvernementaux et des sociétés d’État et le chef du protocole

24. Les juges de la Cour du Québec

25. Les membres de l’Ordre national du Québec

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