Polytechnique Montréal

Dans le ventre du kraken

Une touche de mystique, un soupçon de féminisme, de beaux graphiques et des défis techniques énormes. L’équipe de Polytechnique Montréal que nous avons suivie n’avait pas froid aux yeux pour concevoir son Ada.

IDÉES DE DÉPART ET THÈME

Les huit étudiants de l’équipe Polytechnique 1 n’ont pas attendu de connaître les contraintes du concours pour avoir leur petite idée. Autour de la table, ce 15 janvier 2016, ils testent les possibilités d’utiliser le thème imposé de l’océan et de l’utilisation de « systèmes » pour mettre en valeur leur projet. Dans le bruit de conversations animées d’une centaine d’étudiants au cerveau bouillonnant, Romina Rabti Zolpirani, la directrice artistique de l’équipe, insiste sur l’importance de faire « un beau jeu, visuellement frappant ». Tout le monde semble d’accord sur ce point.

On s’attarde aux disponibilités de chacun, on s’informe de celles des mentors, des responsables d’Ubisoft qui accordent bénévolement 4 h par mois à ce projet. « On avait déjà fait un brainstorm et l’idée était de se promener à l’intérieur d’une créature », expliquera plus tard un des membres de l’équipe, Julien Aymong, programmeur. « On avait aussi l’idée d’un sol qui serait constamment en rotation », renchérit son camarade Tommy Sagala, programmeur et designer de niveaux.

L’AVENTURE D’ADA PREND FORME

Le 10 février, dans un petit local de Polytechnique Montréal, on est rassuré. La veille, « ça ne marchait vraiment pas », estime le chargé d’enseignement parrain du groupe, Olivier Gendreau. Ce soir, le jeu est fonctionnel. 

C’est que l’équipe a vu grand : on est déjà très avancé dans le graphisme d’Ada – une référence à Ada Lovelace, considérée comme la première informaticienne de l’histoire. Notre héroïne se baladera à l’intérieur d’un monstre marin, un kraken, qui a la fâcheuse manie de tourner sur lui-même. Tout le décor doit suivre.

Romina Rabti Zolpirani présente avec fierté le look de son héroïne, dont les vêtements sont déjà dessinés. Pour ne pas alourdir le jeu, on schématise les textures qui conservent tout de même un certain réalisme.

Mais c’est cette idée de rotation de la surface de jeu qui représente un défi technique insurmontable. En fait, la version Éducation de la plateforme Unity, utilisée pour créer les jeux du concours universitaire, ne permet pas d’offrir toutes les possibilités de cette rotation. Il faudra tricher un peu et guider le joueur dans des couloirs plus précis.

DEVANT LES JURÉS

Le premier test est arrivé, on passe des amis testeurs aux jurés et aux journalistes. D’entrée de jeu, Ada frappe par la qualité graphique de l’introduction. Les cubes et le personnage schématisé ont laissé place à des cavernes dans lesquelles Ada pivote, saute d’une plateforme à l’autre et envoie des projectiles pour abattre des fantômes.

La trame narrative est poétique, un peu trouble. « Elle est tombée amoureuse de Davy Jones qui lui a volé son cœur et remplacé par de la glace », explique Lianne Maritzer, responsable du design de niveaux. Ada doit donc retrouver les morceaux de son cœur, tout en devenant de plus en plus folle au fur et à mesure que le jeu avance.

« Un de nos mentors [Philippe Bergeron] était un spécialiste du design de niveaux, il a pu nous donner un choix plus grand pour permettre au joueur d’explorer les interactions, au lieu d’être dans un système linéaire, explique Julien Aymong. Quelque « 99,9 % du jeu » a été bâti à partir de rien, sans recourir aux modules déjà existants dans Unity, note-t-il fièrement.

LE VERDICT

Le grand soir est arrivé, la centaine d’étudiants universitaires dans la salle néo-baroque du Rialto voit défiler les jeux vidéo en lice. Chaque nomination est accueillie par des tonnerres d’applaudissements et les cris de l’équipe concernée. L’ambiance est festive, le bar à l’arrière a été très occupé depuis une heure et l’équipe d’Ada croise les doigts. Elle aura un premier motif de réjouissance lors de la remise du prix pour les Meilleurs défi et innovation techniques, pour lequel son jeu est en nomination. Déception : le prix ira à l’équipe Polytechnique Montréal-UQAT Montréal. Les prix défilent un après l’autre et Ada n’est plus en nomination. Les jeunes universitaires cachent mal leur déception. « Pour nous, l’important n’est pas seulement de gagner, mais d’avoir pu vivre cette belle expérience », dit Romina Rabti Zolpirani. La nomination pour l’innovation et défi techniques confirme que ce jeu au décor rotatif était effectivement ambitieux. « Tout le travail d’équipe, tout l’apprentissage qu’on a gagné, l’expérience, ça valait vraiment la peine », dit Julien Aymong. Deux membres de l’équipe, Raphaël Lapierre et Tommy Sagala, ont tout de même eu leur cadeau, ayant respectivement eu droit à un emploi et à un stage chez Ubisoft.

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