Chronique

Le harcèlement sexuel expliqué au boys club

Quelques semaines avant le scandale qui l’a mené à sa chute, ses amis lui avaient gentiment servi une mise en garde.

« Regarde, Marcel, des fois, fais attention, tu exagères peut-être un peu. »

« Les farces de mononcle, en 2015, il faut faire attention. »

L’ami qui aimait les « farces de mononcle » allait peut-être trop loin avec les femmes. Mais pour lui, c’était un « jeu ». Juste un « jeu ». « Vous me connaissez, je ne fais pas ça pour faire de mal à personne », disait le président du Comité olympique canadien à ses amis.

Le plus grand tort de Marcel Aubut, selon son ami Réjean Tremblay, n’est pas d’avoir eu de présumés comportements inacceptables avec des subordonnées. Son plus grand tort, voyez-vous, serait de ne pas avoir su s’adapter à l’évolution de la société qui ne tolère plus ce genre de « truculence rabelaisienne ». Une société si rigide qu’elle ne tolère même plus qu’un patron reçoive son adjointe en boxer dans son bureau. Une société où les employées sont si peu sensibles aux charmes de l’humour rabelaisien qu’elles avaient mis en place une « alerte Marcel » chaque fois que le patron du Comité olympique canadien entrait dans leur bureau.

Une société où le mononcle puissant et son boys club sont désormais de pauvres incompris.

« Moi-même, des remarques que je pouvais faire il y a cinq ans et que je trouvais amusantes, je ne me les permets plus. Parce que cela a changé », a-t-il confié à ma collègue Isabelle Hachey.

On comprend en lisant et en écoutant Réjean Tremblay que pour lui, comme pour bien d’autres, Marcel Aubut est surtout victime d’une époque qui carbure à la rectitude politique. L’homme, qui a démissionné du COC après avoir fait l’objet d’une plainte pour harcèlement sexuel, serait tombé au combat de la bien-pensance. Celle d’une société où ce que Réjean appelle un comportement « d’ado grossier » est désormais appelé « harcèlement » et servirait de paravent à un règlement de comptes.

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Dure époque pour le boys club qui regrette ces temps glorieux où un patron pouvait dire à une secrétaire qu’elle avait de beaux seins et lui donner des « becs mouillés » sans risquer qu’elle le prenne mal. Dur réveil pour ceux qui continuent de croire que l’on peut humilier une subalterne « avec humour », lui tapoter les fesses comme on tapote la carrosserie d’une nouvelle voiture, et que tout cela n’est finalement qu’une question de goût ou de perception.

Même si Marcel Aubut n’est accusé de rien et ne fait l’objet d’aucune poursuite, cette affaire n’a rien de banal. Le Comité olympique canadien savait depuis 2011 que son président était visé par des allégations « très sérieuses » et qu’il ne s’agissait pas d’un incident isolé. Pour étouffer le scandale, on a simplement demandé à Marcel Aubut de cesser de « toucher » les employées ou de les « embrasser », sauf pour les bises de salutation, et de cesser « toute allusion sexuelle ».

Simple problème de perception ? Non. Le problème, c’est la culture machiste qui, encore aujourd’hui, banalise le harcèlement, accuse les femmes d’en être responsables, d’y prendre plaisir ou, dans le pire des cas, de bouder leur plaisir. Le problème, c’est une culture qui dit « bof ! » devant ce genre de comportements, détourne le regard et refuse d’appeler les choses par leur nom.

Disons-le sans guillemets. C’est du harcèlement sexuel, point à la ligne. Et c’est inacceptable.

Pas parce que nous sommes dans une ère de rectitude politique. Pas parce que nous manquons d’humour. Mais parce que le harcèlement sexuel est un comportement qui a de graves conséquences pour les femmes (ou les hommes) qui le subissent. « Contrairement au flirt qui rehausse l’estime de soi, le harcèlement sexuel abaisse la victime. C’est un acte de violence », écrit à ce sujet Me Anne-Marie Plouffe de la Commission des normes du travail. On ne parle pas de simples blagues périmées. On parle de gestes et de paroles qui offensent, intimident et humilient.

L’affaire Aubut montre de façon très éloquente qu’il ne suffit pas d’atteindre l’égalité de droit dans une société pour atteindre l’égalité de fait. Il faut désormais agir sur les mentalités. Contrer le sexisme ordinaire et les stéréotypes tenaces qui le sous-tendent. Expliquer aux mononcles que ça suffit. Exiger des employeurs qu’ils prennent la chose au sérieux. Rappeler aux femmes qu’elles n’ont pas à endurer ça.

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