À votre tour

Les travailleurs invisibles

Les Fêtes arrivent à grands pas et je me prépare à la question anodine d’une cousine éloignée : « Tu travailles où ? » Je lui répondrai : « Je travaille en santé publique. » Devant son regard perplexe, j’ajouterai : « Il y a des professionnels de la santé qui s’occupent des gens malades dans les hôpitaux, les CLSC. Moi, je travaille à faire en sorte que le plus de gens possible gardent leur santé et ne se retrouvent pas dans les hôpitaux. »

Mon interlocutrice jugera que son effort de socialisation a été fait et se lancera dans le buffet. Je deviendrai invisible.

C’est un peu ça, le problème avec la santé publique. Elle est souvent invisible. Nous sommes là, mais vous ne nous voyez pas.

Nous sommes derrière les vaccins de vos enfants et de celui de vos parents contre la grippe. Nous étions aussi derrière l’infirmière qui vous a aidé à mettre votre nourrisson au sein quelques minutes après sa naissance et qui l’a ensuite donné à papa pour qu’il puisse le coller tout contre lui, peau à peau. Nous sommes derrière le traiteur à la cafétéria de l’école qui n’offre plus de frites. Derrière le comité responsable de l’aménagement de la cour d’école. Derrière le médecin ou l’infirmière qui discute avec votre ado de la protection lors des relations sexuelles ou qui vous fait un « pap test ». Derrière votre pharmacien qui vous prescrit des « patchs » pour vous aider à arrêter de fumer.

Nous sommes aussi à l’affût pour que cyclistes, piétons et automobilistes soient davantage en sécurité sur les routes. Nous pouvons en effet vous nommer les coins de rue les plus dangereux à Montréal et sur lesquels il faudrait intervenir. Nous sommes derrière l’offre de transport en commun, les jardins sur les toits, les ruelles vertes, les marchés publics. Derrière les femmes enceintes à faible revenu qui reçoivent des suppléments vitaminiques, des œufs, du lait et des oranges. Derrière des mémoires présentés à l’Assemblée nationale sur la cigarette électronique ou le droit à un logement salubre.

Les campagnes de prévention du suicide, les sites d’injection supervisée, les recommandations dans les médias lors d’épisodes de smog. Nous sommes là. Nous nous préparons à faire face à l’Ebola, nous étions prêts pour le SRAS, nous étions à Saint-Jean-sur-Richelieu lors des inondations, à Saint-Basile-le-Grand et à Lac-Mégantic.

Nous sommes toujours là, chaque fois que votre santé est en jeu. Désormais, nous le serons moins. Faire disparaître 30 % de ce qui est peu visible, comme nous l’impose le ministre Barrette, ça semble facile. Mais avec la place que nous aurons perdue, ce sera la maladie qui aura gagné du terrain.

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