Leur histoire d’immigration

Jean Meres est d’abord venu seul à Montréal, en 1973, à l’âge de 30 ans. Pour l’expérience, mais aussi pour donner une autre vision à ses enfants à venir. Sa fiancée, en Haïti, était enceinte de leur premier enfant. Il est resté à Montréal pendant deux ans et demi ; il travaillait dans une manufacture de jouets en peluche. En 1975, Jean Meres est retourné en Haïti, où il a marié sa fiancée et d’où il a fait une demande de résidence officielle pour le Canada. Neuf mois plus tard, Jean Meres, sa femme – enceinte jusqu’aux dents de Grégory – et leur petite fille sont revenus s’installer au Québec pour de bon.

Leur vie à 40 ans

Jean Meres : À 40 ans, Jean Meres Excellent et sa femme étaient propriétaires depuis un an de leur première maison, dans le quartier Chomedey à Laval. Pour payer l’hypothèque (avec un taux d’intérêt de 17,75 %), Jean Meres travaillait comme teinturier et sa femme opérait des machines à coudre chez Smart Brassieres, rue Chabanel.

Grégory : À 40 ans, Grégory Excellent, membre de l’ordre des comptables professionnels agrées et bachelier en gestion des HEC, est président et co-fondateur de la société Capital+, une institution financière. Il s’implique beaucoup dans le développement socio-économique de la communauté haïtienne du Québec

Leur rêve à 40 ans

Jean Meres : « Je voulais aller plus loin, je pensais retourner à l’école, mais je n’en avais pas les moyens [c’est finalement à l’âge de 49 ans que Jean Meres est retourné étudier pour devenir auxiliaire familial]. Mes projets, c’était mes enfants, l’évolution de mes enfants. C’était la raison d’être de laisser mon pays. »

Grégory : « J’aimerais que ma compagnie grossisse et devienne une institution financière de premier plan. Et j’aimerais aussi faire quelque chose pour sécuriser mon père avec son choix d’avoir quitté son pays : investir dans un projet en Haïti, pour lui montrer qu’il n’a pas quitté son pays à jamais. »

Leurs peurs à 40 ans

Jean Meres : « À 30, 40 ans… peut-être que j’avais peur de ne pas réussir. Il y a eu des moments plus difficiles. Et je me demandais : “si c’était là-bas, ce serait mieux ? Ou est-ce ici que c’est mieux ?” Mais en vieillissant, je peux voir qu’ici, c’était le meilleur choix. »

Grégory : « J’ai pris la décision de l’entrepreneuriat, ce qui implique un degré de risque. C’est un peu la même chose que mon père : je n’ai pas peur de l’échec, mais de ne pas y arriver, oui. C’est une peur, mais c’est motivant en même temps. »

Leurs différences

La plus grande différence entre le père et le fils, c’est l’endroit où ils sont nés, selon Jean Meres : « Il a plus de possibilités », dit-il de son fils. Grégory renchérit : « Les possibilités font qu’on a différentes ambitions, dit-il. Mon père a travaillé beaucoup, mais il a aussi sécurisé beaucoup ses acquis. Ils ont acheté une maison en 1982, ils l’ont revendue en 2008. Moi, ça fait 10 ans et je suis à veille de la vendre ! Quand tu quittes ton pays et tu recommences à zéro, tu n’as pas le goût de recommencer à zéro 10 ans plus tard. Pour moi, recommencer à zéro, c’est un défi. »

Québécois ou Haïtiens ?

Jean Meres : « J’ai passé plus de temps à Montréal qu’en Haïti. Je me considère comme Québécois. »

Grégory : « Avant de retourner en Haïti, j’ai toujours considéré que j’étais plus Haïtien, Québécois d’origine haïtienne. Quand je suis allé en Haïti, j’ai vu que j’ai beaucoup de manies, de façons de faire typiquement québécoises. Je dirais que c’est un sain dosage des deux ! »

Et si c’était à refaire ?

Jean Meres : « Oui. Moi, j’aurais pu rester en Haïti – j’ai grandi là, je connais tout le monde. Mais pour les enfants, c’est une autre chose. Ils n’auraient pas la même formation qu’ils ont aujourd’hui ici. Et aussi pour la sécurité : en Haïti, il y a pas beaucoup de sécurité. »

Grégory : « Souvent, je dis merci à mon père. Il y a deux ans, en Haïti, j’ai croisé le regard d’un garçon qui jouait au soccer dans la rue. Je me suis rendu compte que j’aurais pu être à sa place et il aurait pu être à la mienne. Ça n’aurait probablement pas été aussi facile de me développer en Haïti. »

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