Alimentation 

Les Québécois craignent la fraude dans leur assiette

Cette tomate bio est-elle vraiment biologique ? Et ce saucisson artisanal, est-il fait de viande de porc élevé en liberté dans une petite ferme familiale ? 

Rien n’est moins sûr, croit une importante partie des consommateurs canadiens qui sont de plus en plus au fait de la fraude alimentaire. Au Canada, 63 % des consommateurs sont préoccupés par le phénomène. Au Québec, la proportion monte à 84 %.

« Oui, les résultats nous ont surpris », avoue d’emblée Sylvain Charlebois, de la faculté d’agriculture de l’Université de Dalhousie qui publie aujourd’hui la première étude canadienne sur le sujet. Il s’agit d’une étude exploratoire menée le mois dernier, sur l’ensemble du pays.

Les 1088 répondants avaient d’abord droit à une définition de la fraude alimentaire avant de se prononcer.

La statistique la plus surprenante de l’étude est celle-ci : 43 % des participants croient avoir déjà été victimes de fraude alimentaire.

Il ne s’agit toutefois que d’une impression, puisque dans notre système alimentaire basé sur le lien de confiance entre le consommateur et le fabricant, les réels cas de fraude sont rarement démasqués.

Selon l’étude, les Canadiens craignent surtout que les aliments suivants soient contrefaits : 

Les poissons et les fruits de mer 

Les produits liquides (huiles et vins) 

Les fruits et légumes 

Les charcuteries 

Les produits de boulangerie

La fraude alimentaire a une définition assez large : il peut s’agir d’une étiquette non conforme, d’omissions dans la liste des ingrédients ou d’une erreur sur la provenance d’un produit.

L’année dernière, l’entreprise canadienne Mucci a écopé de l’amende la plus salée imposée au pays dans ce domaine, 1,5 million de dollars pour avoir vendu dans les supermarchés canadiens des tomates du Mexique en les faisant passer pour des produits locaux.

En Europe, l’un des plus importants cas de fraude alimentaire est celui de la viande chevaline, en 2013. Des transformateurs avaient utilisé de la viande de cheval, moins chère, dans des plats préparés comme de la lasagne en indiquant qu’il s’agissait de bœuf. 

« Tout le monde le sait, depuis longtemps, qu’il y a un problème. Par contre, les systèmes alimentaires sont complexes et la délation assez rare. »

— Sylvain Charlebois

Les agences gouvernementales ne testant qu’une infime partie des aliments, les scandales de fraude alimentaire sont souvent révélés par les médias. L’année dernière, une agence de presse américaine a révélé que plusieurs fromages contenaient une quantité hors-norme de cellulose, ce sous-produit du bois qui est utilisé pour empêcher que le fromage râpé ne s’agglutine dans les sacs. La même enquête a démontré que des fromages parmesan ne contenaient pas du tout de parmesan, mais des fromages moins chers.

Une population vulnérable

L’étude de l’Université Dalhousie, de Halifax, conclut que les personnes qui souffrent d’allergies alimentaires et les personnes âgées sont davantage préoccupées par la fraude, car les impacts sur leur santé peuvent être très sérieux. La présence non déclarée d’un ingrédient allergène peut être extrêmement problématique pour une personne allergique qui en mange sans crainte.

Si l’étude de l’Université Dalhousie est la première à s’intéresser ainsi à la perception de la fraude alimentaire, d’autres données confirment ce manque de confiance de la part des consommateurs.

Un récent sondage commandé par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec a calculé que seulement 22 % des Québécois « font très confiance » aux certifications apposées sur les aliments qui stipulent leur origine, qu’ils sont biologiques ou issus du commerce équitable, par exemple. 

Ultimement, la technologie sera la solution à ce fléau, indique le professeur Charlebois qui parle d’un petit gadget, déjà sur le marché, qui permettra au consommateur de faire ses propres tests au supermarché. « La meilleure police possible, dit-il, sera le consommateur. »

Que fait l’industrie ? 

La fraude alimentaire est une préoccupation très récente pour l’industrie, explique la microbiologiste Valérie Charest, de la firme québécoise Innovaltech, spécialiste en sécurité des aliments. D’abord, l’heure est à l’autoréglementation, explique-t-elle. De plus en plus, des normes internationales exigent que les entreprises qui y adhèrent se dotent de mesures de prévention de la fraude alimentaire.

Les fabricants québécois ont à l’œil les ingrédients de leurs aliments, explique Valérie Charest, surtout ceux qui sont souvent susceptibles d’être contrefaits (voir liste). « Si tu fais de la vinaigrette avec de l’huile d’olive qui vient d’un pays où il y a beaucoup de contrefaçon, ça serait bien de la faire tester », dit-elle, afin d’éviter de refiler involontairement une fraude aux consommateurs.

Les fabricants québécois sont davantage au courant de ce problème, explique Valérie Charest. Prochainement, poursuit la microbiologiste, les entreprises devront aussi se doter de mécanismes pour évaluer les risques de fraudes à l’interne. « Si tu peux injecter 10 % [de saumure] dans une pièce de viande, mais que tu en mets 15 %, tu commets aussi une fraude. »

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