RÉVÉLATIONS SUR LA NSA

« Ils ont été exceptionnels »

L’avocat montréalais Robert Tibbo espère que les réfugiés qui ont caché Edward Snowden à Hong Kong pour l’aider à échapper aux autorités américaines pourront refaire leur vie dans un nouveau pays. Et il pense que le Canada pourrait très bien jouer ce rôle.

« J’espère que ces gens extraordinaires vont pouvoir quitter Hong Kong et être réinstallés dans un pays qui estime et soutient les droits de la personne », a-t-il déclaré hier lors d’un long entretien accordé à sa résidence de Westmount.

« Absolument ! », a-t-il répondu lorsque La Presse lui a demandé si le Canada pouvait constituer une destination intéressante pour les réfugiés en question.

Quelques médias, incluant le New York Times et le National Post, ont révélé hier, avec l’assentiment de Me Tibbo, que certains demandeurs d’asile qu’il représente à Hong Kong avaient accepté d’héberger le célèbre lanceur d’alerte en juin 2013.

Edward Snowden, qui était arrivé dans l’ex-colonie britannique en mai avec des documents confidentiels en poche pour rencontrer un groupe de journalistes, venait alors de s’identifier dans une vidéo du quotidien The Guardian comme l’auteur de fuites traitant des pratiques de surveillance de la National Security Agency. Et l’aveu venait de déclencher une traque à laquelle il n’était pas bien préparé.

Me Tibbo, qui est originaire de Montréal, a eu l’idée alors de le placer temporairement parmi les réfugiés de l’ex-colonie, sachant que personne ne penserait à le chercher dans leurs modestes quartiers.

« Je savais que c’était des gens en qui je pouvais avoir confiance et qu’ils feraient tout ce qu’ils pourraient pour faire en sorte qu’Ed se sente à l’aise et en sécurité. Ils ont été exceptionnels. »

— Robert Tibbo, avocat

« Pour lui, je sais que ç’a été à la fois une expérience enrichissante et une leçon d’humilité » de bénéficier de leur soutien, relève l’avocat, qui communique régulièrement avec l’ex-contractuel de la NSA en Russie.

Ce dernier a salué hier le « courage » des réfugiés concernés en relevant qu’ils auraient pu à tout moment le trahir plutôt que de prendre le risque de l’accueillir.

CRAINTES QUANT AU FILM

La sortie de l’avocat relativement au rôle des réfugiés dans la folle cavale d’Edward Snowden survient à la veille de la première d’un film du réalisateur Oliver Stone traitant de la vie du célèbre fugitif.

Me Tibbo souhaitait s’assurer que les réfugiés et leur histoire seraient connus plutôt que d’être révélés sommairement dans le film, qui évoque brièvement l’épisode, selon l’avocat.

Il craignait par ailleurs, si leur identité n’était pas préalablement dévoilée, que le film ne déclenche une traque médiatique incontrôlable susceptible de traumatiser les réfugiés en question, qui sont « très vulnérables », tant par leur passé que par leur situation dans l’ex-colonie britannique.

Parmi les réfugiés ayant accueilli le célèbre fugitif américain figurent des ressortissants du Sri Lanka et des Philippines, qui attendent depuis des années que Hong Kong se prononce sur leur demande d’asile. Leurs enfants sont nés dans l’ex-colonie, mais ne sont pas considérés comme des citoyens à part entière.

Ils ont tous été torturés ou ont subi des abus dans leur pays d’origine, et ils ont d’excellentes raisons de réclamer ce statut, mais le gouvernement de l’ex-colonie britannique refuse catégoriquement d’accueillir des réfugiés et fait tout pour les inciter à partir, dénonce Me Tibbo.

PRIS DANS DES « LIMBES »

« Le taux d’acceptation des demandes d’asile est pratiquement zéro », déplore l’avocat, qui s’emporte en parlant du traitement subi par ses clients.

Ils sont pris, au dire de leur avocat, dans des « limbes » administratives et légales, sans autre espoir véritable que de rentrer chez eux et de risquer de subir des abus de nouveau s’ils renoncent à leur demande d’asile.

D’où l’intérêt de leur trouver un autre pays d’accueil, relève Me Tibbo, qui n’a pas précisé s’il avait l’intention de présenter une demande formelle à ce sujet aux autorités du Canada ou d’un autre pays dans un avenir rapproché.

« Tout ce que je peux dire pour l’instant, c’est que je fais tout ce que je peux pour mes clients dans la juridiction de Hong Kong. »

— Me Tibbo

Une demande formelle en ce sens, si elle se matérialise, pourrait être embarrassante pour Ottawa puisque les États-Unis ne verraient probablement pas d’un bon œil qu’un pays accueille des réfugiés qui ont aidé un fugitif recherché à leur échapper.

Les liens étroits qui unissent les deux pays en matière de collecte électronique de renseignements à travers l’organisation dite des « Five Eyes » – qui inclut aussi le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et l’Australie – renforcent les retombées diplomatiques potentielles d’une telle initiative.

Certains documents dérobés et divulgués par Edward Snowden évoquaient des pratiques de surveillance canadiennes qui ont suscité la controverse.

D’INGÉNIEUR À AVOCAT

Robert Tibbo, natif de Montréal, est d’abord ingénieur de formation. Après avoir terminé une formation en génie chimique à l’Université McGill en 1988, il se découvre une passion pour l’Asie en général et pour la Chine en particulier. Au tournant du millénaire, il entreprend une formation en droit en Australie avant de s’établir à Hong Kong, où il fonde son bureau en 2006. La problématique des réfugiés, particulièrement sensible dans l’ex-colonie, se retrouve au cœur de ses priorités et le pousse à parfaire sa connaissance des arcanes du droit d’asile. Des connaissances qui lui serviront pour aider Edward Snowden, avec qui il échange aujourd’hui par des canaux cryptés de manière à réduire tout risque d’interception. L’avocat affirme avoir des preuves que certaines de ses communications passées ont été ciblées et ne veut prendre aucun risque à ce sujet, de manière à ne pas livrer d’informations compromettantes relativement aux projets de l’ex-contractuel de la NSA.

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