VIE SAINE

De nouveaux experts

Dans notre société où tout s’accélère, nous avons un idéal, celui d’adopter un mode de vie sain. Bien s’alimenter, avoir une jolie silhouette, être bien dans sa peau, faire du sport, c’est ce que de plus en plus de vedettes nous vendent : un style de vie où tout leur réussit. Elles s’appliquent à donner des conseils à notre portée, car après tout, nous sommes responsables de notre bien-être, non ?

Le professeur d’anthropologie de l’Université de Montréal Guy Lanoue rappelle que Jane Fonda, dans les années 70, avait réalisé des vidéos d’exercices. Il y va de son analyse sans détour. Pour lui, ce phénomène, c’est l’idéologie néolibérale individualiste dans toute sa splendeur. « Les liens traditionnels à des communautés de référence ou à des autorités institutionnelles se sont affaiblis, il y a une méfiance vis-à-vis des gouvernements et nous sommes désormais responsables de notre propre bien-être, on le voit beaucoup aux États-Unis, un peu moins au Canada. » 

On doit désormais se débrouiller, mais il faut pouvoir s’accrocher à quelque chose. « Les gens doivent trouver un substitut et ces conseils, finalement, constituent le grand bon sens commun : mangez moins, faites de l’exercice, ne fumez pas… des conseils très accessibles qui sont légitimés par leur position de vedettes dans la culture populaire, car Cameron Diaz ou Gwyneth Paltrow n’ont pas d’autorités institutionnelles derrière elles », explique l’anthropologue. 

Anouk Bélanger, professeure au département de communication sociale et publique de l’UQAM, abonde dans le même sens. « Tout le discours sur le bien-être nous rend responsables de notre corps et de nous-mêmes. C’est une explication évidente de ce phénomène. Si je buvais de bons jus vitaminés, si je ne prenais plus de gluten, je serais comme elles ! On ajoute à cela une stratégie de marketing, et on s’aperçoit que la gestion de soi, ça marche ! Les vedettes se mettent de l’avant comme étant les ambassadrices de ce mouvement », estime-t-elle. 

Au-delà du bon sens, ne sommes-nous pas obsédés par le bien-être ? Anouk Bélanger explique que la tendance du bien-être et de l’art de vivre est devenue un incontournable dans notre société. « C’est une priorité alors que, paradoxalement, on est aussi tenté par le bien-être rapide et efficace, la chirurgie plastique, les plats cuisinés, le prêt-à-consommer et la volonté de vivre en accéléré ! En même temps, il y a une aspiration manifeste au calme, à la santé, à la beauté et au bien-être. C’est très paradoxal », explique-t-elle.

Dans ces livres, il est souvent question de solutions simples à des problèmes qui sont plus complexes. « La société de consommation s’explique comme étant une entreprise où chacun essaie de se démarquer. Les vedettes ont réussi à briller et on a l’impression que tout est d’une grande simplicité, alors que la quête du succès est plus compliquée que cela », estime Anouk Bélanger.

« La pensée magique, c’est de trouver des solutions rapides et efficaces. Ce n’est pas le reflet de la réalité parce qu’on sait que c’est une discipline de fer parfois pour ces vedettes de rester en forme, et elles n’en parlent pas toujours, loin de là ! » — Anouk Bélanger

Nos vedettes prennent-elles la place des vrais experts ? Gwyneth Paltrow est l’exemple parfait, pense Arnaud Granata, vice-président et directeur des contenus chez Infopresse. « Avant, les vedettes étaient des porte-parole de produits, maintenant elles ont leur propre marque et s’imposent comme des expertes du bien-être. Pour les médias, Gwyneth Paltrow est une personnalité aimée et connue, contrairement à un nutritionniste, qui a un travail d’éducation à faire. Son message est simple et pour les médias, c’est du bonbon », dit-il. 

Anouk Bélanger rappelle que dans les études sur la présence d’experts dans les médias, il est souvent question du fait que si les gens ne les connaissent pas, la recette ou le conseil qu’ils donneront ne fonctionnera pas, ou en tout cas, moins bien. « Comme s’il existait un degré d’efficacité associé à la personne qui nous donne des conseils. On a aussi davantage tendance à croire quelqu’un de célèbre et qui a du succès, parce que c’est un gage de réussite. » 

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