CHRONIQUE

Les Franco- Ontariens

La semaine dernière, j’ai pondu une chronique pour dénoncer le manque d’indignation d’une certaine classe médiatique ontarienne devant le saccage des acquis franco-ontariens. En anglais, dans La Presse+. Je voulais que ce soit lu à Toronto…

Je me suis fait demander quelle mouche m’avait piqué, je me suis fait demander pourquoi je me souciais du sort des Franco-Ontariens.

Réponse courte : parce que je les ai côtoyés.

La sœur de ma mère habitait Orléans, en banlieue d’Ottawa, où j’ai passé une partie de mes étés, ado. Premier contact avec la francophonie ontarienne.

Puis, j’ai étudié à l’Université d’Ottawa, un pôle d’attraction des francophones hors Québec. On y trouvait des Franco-Ontariens, bien sûr. Mais également des Fransaskois, des Acadiens, des Franco-Manitobains…

Je m’y suis fait des amis, une ou deux blondes. Pour moi, la francophonie hors Québec n’a jamais été une flopée de « dead ducks », comme l’a jadis lancé méchamment René Lévesque. Ce sont des personnes en chair et en os, qui font le choix – difficile – de vivre en français dans des sociétés anglaises.

Pour moi, les Franco-Ontariens, c’est mon ami Yves Durocher, dont j’ai été un des témoins quand il s’est marié avec Dina en 1996. C’est mon ami Jean-François Plante, que j’ai connu dans ce joyeux foutoir qu’était le journal étudiant La Rotonde. C’est Mona Fortier, qui était de toutes les causes « francos » sur le campus, petite dynamo infatigable qu’elle est encore, désormais comme députée fédérale d’Ottawa–Vanier.

Ils venaient de partout en Ontario, du Nord, du Sud, de Toronto. 

Mais si les Franco-Ontariens ont un territoire dans mon imaginaire, c’est celui de l’Est ontarien, ces terres en bordure de la 417, quand vous allez à Ottawa, dès que vous franchissez la frontière ontarienne.

C’est là que j’ai décroché mon premier job en journalisme en 1995, dans un hebdo de Hawkesbury, Le Carillon. Me viennent en tête des noms de villages comme Embrun, Casselman, Alfred, Lefaivre, Plantagenet, Saint-Isidore, Saint-Albert…

Je louais une chambre dans une maison de ferme sur Cassburn Road, dans un village en banlieue (!) de Hawkesbury du nom de (tenez-vous bien)… L’Orignal. Mon proprio était un vieux francophone, M. Legault. Il détonnait non pas parce qu’il était francophone, mais parce qu’il ne s’appelait pas « Lalonde », l’Est ontarien étant aux Lalonde ce que le Saguenay–Lac-Saint-Jean est aux Tremblay…

Ce territoire se nomme Prescott-Russell, nom anglais pour un territoire majoritairement francophone et peut-être y a-t-il un symbole là-dedans, le symbole de l’état de lutte permanente qui est celui des Franco-Ontariens : même majoritaires, leur bout de terre porte un nom anglais…

Au provincial, la circonscription se nomme Glengarry–Prescott–Russell. Ça vote rouge-rouge foncé dans ce bout-là. Mais la vague bleue de juin dernier y a fait élire une jeune conservatrice dont le nom est désormais sur toutes les lèvres : Amanda Simard.

C’est Amanda Simard, 29 ans, qui a défié son premier ministre dans la foulée des coupes de Doug Ford visant le projet d’Université de l’Ontario français et le Commissariat aux services en français. Elle ne les accepte pas, ces reculs. Elle l’a dit. Et elle a déserté ce parti qui a trahi sa communauté.

Dans un discours émotif, Mme Simard a évoqué les manifs pour sauver l’hôpital Montfort – lui aussi ciblé par un gouvernement conservateur au nom de la rigueur budgétaire –, quand elle n’avait que 8 ans, « avec [son] t-shirt SOS Montfort orange et blanc ». SOS Montfort a rallié les Franco-Ontariens il y a 20 ans, autour de Mme Gisèle Lalonde. Les Franco-Ontariens avaient eu gain de cause en cour.

M’est avis que Mme Simard ne paiera pas de prix politique pour avoir choisi de quitter le caucus conservateur. Je peux me tromper, mais je pense qu’elle vient d’assurer sa réélection pour quelques mandats, sachant la fierté des gens de l’Est ontarien pour leur condition de francophones…

En 1997, je suis entré au journal Le Droit, à Ottawa, qui couvre l’Outaouais et l’Est ontarien. Ma première affectation ? L’Est ontarien ! Repars sur la route couvrir Hawkesbury, Lefaivre, Saint-Isidore, Casselman pour Le Droit, y couvrir la crise du verglas et des conseils municipaux…

Au fait, savez-vous pourquoi ce quotidien se nomme Le Droit ? C’est une histoire intéressante…

En 1912, le gouvernement ontarien s’est mis à paranoïer sur les gains démographiques des francophones, qui composaient 10 % de la population. Il a interdit par le règlement 17 l’enseignement en français au primaire, au-delà des deux premières années de scolarité.

Le but : l’assimilation de force des francophones. Une mesure qui a eu des échos ailleurs au Canada, à la même époque…

Le journal Le Droit est donc né l’année suivante, pour faire écho au combat des Franco-Ontariens pour leurs droits linguistiques. Et dans la lutte pour Montfort, neuf décennies plus tard, Le Droit est redevenu sans complexe ce pour quoi il fut fondé : un journal de combat.

Comme j’ai dit en entrevue à la CBC la semaine dernière : le saccage des droits des francophones dans ce pays, et en Ontario, « is a great untold story », c’est un pan méconnu de l’histoire du Canada… dont les compressions de Doug Ford sont une suite logique.

Le Canada fait comme il se doit son examen de conscience sur le sort des autochtones. Dans un autre registre, bien moins violent bien sûr, il faudra bien parler un jour de la francophobie historique qui a sévi dans ce pays.

C’est pour ça que j’étais furieux, il y a 10 jours, quand j’ai écrit cette chronique. J’ai un souvenir tendre des Franco-Ontariens, j’ai un souvenir vif de leur combat au quotidien pour exister comme francophones dans une mer d’anglophones…

C’est un combat que nous, Québécois, avons souvent ignoré. C’est un de nos angles morts, ça : la francophonie canadienne. On a souvent eu une attitude hautaine envers ces gens-là, je trouve. Des blagues méchantes, des ignorances cultivées. Par exemple, quand certains d’entre nous s’étonnent bruyamment qu’il y ait des francophones hors du Québec, ça me fait penser à ces Français qui s’étonnent que les Québécois ne vivent pas dans des igloos et qui se moquent de notre accent…

Peut-être que les Franco-Ontariens, comme les autres communautés francophones du Canada, le sont, des « dead ducks », dans le sens où la démographie les condamne à mourir à petit feu. Il est vrai que les taux d’assimilation sont vertigineux : hors Québec, depuis 100 ans, le fait français a été soluble dans la vie canadienne. Ça ne veut pas dire que ceux qui continuent de se battre méritent le mépris, c’est même tout le contraire.

En cela, je suis content de voir que le combat des Franco-Ontariens a des échos ici depuis deux semaines. Content de voir que ça nous interpelle, les Québécois – anglos ET francos d’ailleurs –, que ça nous fâche. Content de voir que le drapeau franco-ontarien sera hissé au sommet de notre hôtel du Parlement, aujourd’hui, à la suggestion de la péquiste Véronique Hivon.

Je ne sais pas si ces appuis moraux vont aider les Franco-Ontariens. Je l’espère.

Je sais que notre appui leur fait chaud au cœur, à ce beau monde-là. Ce n’est pas rien, quand on lutte.

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