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Quand le chercheur conquiert les marchés

Une sonde portative pour détecter plus de 90 % des cellules cancéreuses invasives en temps réel pendant une intervention chirurgicale au cerveau. C’est ce qu’a mis au point Frédéric Leblond, professeur au département de génie physique de Polytechnique Montréal, en collaboration avec le Dr Kevin Petrecca, chef du service de neurochirurgie de l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal (Neuro) de l’Université McGill. Les professeurs croient au potentiel commercial de la sonde et ont décidé de l’amener sur le marché. Un processus complexe qui compte plusieurs étapes. Ils ont accepté de raconter leur histoire.

Trouver la bonne idée

Après avoir travaillé dans le développement d’outils pour la chirurgie aux États-Unis, Frédéric Leblond est arrivé à Polytechnique Montréal en 2012 et il a rencontré le Dr Kevin Petrecca. « Nous voulions développer des outils à partir de besoins ciblés », raconte Frédéric Leblond. Actuellement, on voit les tumeurs dans le cerveau à l’aide de la résonance magnétique, qui ne permet pas toutefois de détecter toutes les cellules cancéreuses. « Il manque les frontières de la tumeur et ça peut aller jusqu’à trois centimètres de différence, indique M. Leblond. Or, plus on a d’information sur les cellules cancéreuses, plus le chirurgien peut en enlever. » Le besoin de concevoir un outil plus performant était donc réel.

Concevoir le produit

L’ingénieur et physicien a conçu un prototype en collaboration avec deux collègues américains et le Dr Kevin Petrecca. La sonde travaille avec de l’intelligence artificielle, alors il fallait lui apprendre à reconnaître les tissus cancéreux à travers les tissus normaux. Pour y arriver, le Dr Petrecca a tout de suite intégré la sonde à son travail. « On améliorait sans cesse notre prototype, que ce soit le détecteur de lumière, différentes composantes optiques ou le traitement de données à l’aide d’un logiciel, indique M. Leblond. On devait s’assurer que les données étaient d’une qualité suffisante pour être capable de dire avec précision si un tissu contenait des cellules cancéreuses ou non. »

La phase de tests

En 2013 et 2014, la sonde a été utilisée avec une vingtaine de patients. Chaque fois, on comparait les résultats de la sonde avec ce que révélait l’analyse du pathologiste. Résultat : la sonde peut détecter plus de 90 % des cellules cancéreuses. L’article scientifique a été publié en 2015 dans la revue Science Translational Medecine. « Depuis, on a continué à utiliser la sonde et on a atteint la centaine de patients », indique Frédéric Leblond. La prochaine phase : une étude clinique commencera prochainement avec plus de 50 patients. Le Dr Petrecca prendra des décisions selon les prédictions de la sonde. « On pourra mesurer l’impact réel de l’outil en regardant les récidives des patients, qui surviennent généralement rapidement avec un cancer du cerveau », indique Frédéric Leblond.

Financer et démarrer l’entreprise

Les chercheurs ont demandé un brevet en 2014 et créé l’entreprise ODS Medical en 2015. Une première ronde de financement de 2 millions de dollars environ a été obtenue auprès d’investisseurs privés, puis d’Anges Québec et de la firme de capital de risque Zoic Capital. Rapidement, l’entreprise a embauché un président-directeur général expérimenté dans le domaine des affaires, de la finance et du biomédical. « Ç’a été la clé, affirme M. Leblond. Il nous a permis de sécuriser nos premiers investissements et de les décupler. » Un conseil scientifique externe avec des experts mondiaux du domaine de la neurochirurgie a aussi été formé. L’entreprise s’est installée dans l’incubateur J.-Armand-Bombardier de Polytechnique Montréal et a le soutien du Centre d’entreprises et d’innovation de Montréal (CEIM).

Vers une soumission à la FDA

Pour demander une approbation de la Food and Drug Administration (FDA), ODS Medical attend les résultats de son étude avec la cinquantaine de patients. « Nous visons un dépôt d’ici un an ou deux, indique M. Leblond. Ensuite, on verra si la FDA demandera d’autres études ou si on pourra avoir directement une préapprobation. Nous espérons avoir une approbation formelle et pouvoir vendre notre sonde dans les hôpitaux d’ici quatre ou cinq ans, mais ça pourrait s’accélérer. » L’entreprise compte déjà cinq employés et accueille des étudiants des cycles supérieurs qui viennent y réaliser leur projet de recherche.

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