OPINION  REFUS DE LA CHIMIOTHÉRAPIE

Victoire ou sacrifice ?

Il est inacceptable qu’un tribunal canadien sanctionne une décision qui mènera très certainement à la mort d’un enfant

Le 14 novembre dernier, un juge ontarien entendait la cause de J.J., une jeune autochtone de 11 ans atteinte de leucémie, dont la mère refusait les traitements de chimiothérapie.

Dans un jugement sans précédent, le juge a affirmé le droit de la mère de choisir une médecine traditionnelle et de refuser la chimiothérapie, bien que cette dernière offre 95 % de chance de survie. Le jugement a été accueilli comme une victoire par la communauté des Six Nations d’où provient l’enfant. Victoire ou sacrifice ?

Le Service d’aide à l’enfance de l’Ontario (l’équivalent de la DPJ) avait fait une demande auprès de la Cour pour que lui soit accordée temporairement l’autorité de prendre les décisions de soins pour l’enfant et de consentir à la chimiothérapie, ce que permet la loi ontarienne. Le juge a affirmé qu’il ne s’agissait pas d’une situation où l’enfant avait besoin de protection puisque sa mère, en tant qu’autochtone, exerçait un droit garanti par la Constitution canadienne de choisir une médecine traditionnelle. Le juge a refusé de considérer la question de l’efficacité ou non des traitements, considérant cette question comme étant non pertinente. Un droit est un droit!

Ce jugement est une première au Canada. Les tribunaux canadiens ont systématiquement déclaré que le meilleur intérêt de l’enfant était le critère prépondérant de toute décision les concernant, ceci en accord avec la Convention internationale des droits de l’enfant. Les parents sont les premiers défenseurs des droits de leur enfant et, en général, les mieux placés pour juger de leur intérêt supérieur.

Toutefois, le droit des parents (ou plutôt la responsabilité) de prendre des décisions pour leur enfant n’est pas absolu.

Les autorités de protection de la jeunesse et les tribunaux peuvent intervenir lorsque ces décisions compromettent l’intégrité physique ou la vie d’un enfant. Par exemple, la Cour suprême du Canada a clairement affirmé que des parents Témoins de Jéhovah ne pouvaient refuser des transfusions sanguines pour leur enfant lorsque ce refus risquait de provoquer le décès.

Ainsi, le droit à la vie de l’enfant et la défense de son intérêt supérieur ont préséance sur les droits religieux des parents. Il est heureusement loin le temps où les enfants étaient considérés comme la propriété de leurs parents.

DANGEREUX PRÉCÉDENT

La question n’est pas de savoir si la mère de J.J. est une bonne mère ou non. Il est probable qu’elle croie sincèrement aux chances de succès d’un traitement dit traditionnel. Par ailleurs, cette décision, si elle est maintenue, résultera très certainement au décès de son enfant. Notre pays et notre système judiciaire doivent placer les intérêts de l’enfant au tout premier plan de leurs priorités. Il est inacceptable qu’un tribunal canadien non seulement ferme les yeux sur les conséquences dramatiques d’une telle décision, mais, en plus, la sanctionne. Selon moi, il s’agit d’un précédent extrêmement dangereux.

Il ne fait aucun doute que les droits des peuples autochtones ont longtemps été brimés. Toutefois, la mort d’un enfant ne réparera en rien les injustices du passé. Trop longtemps, ces peuples ont été traités avec paternalisme. Or, le retour du balancier est beaucoup trop extrême. On ne peut rester indifférent au sort d’un enfant.

J’ai grandi en Mauricie et je côtoyais à l’école primaire des enfants autochtones qui avaient été arrachés à leurs parents pour vivre en institution. Plusieurs étaient mes amis. Je repense aux torts qui leur ont été faits et songe avec horreur que certains d’entre eux ont peut-être été victimes de crimes. Toutefois, je refuse aujourd’hui l’idée que leurs enfants n’aient pas les mêmes droits que les miens, même si c’est celui d’être protégés des décisions de leurs parents.

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