Hockey

Au « Joe », pour la dernière fois

C’est cette fin de semaine que se terminera la belle histoire du Joe Louis Arena, domicile des Red Wings depuis 1979.

Detroit — On dit souvent qu’il n’y a pas un autre aréna comme le Joe Louis Arena, et en ce vendredi matin, c’est tout à fait vrai. À l’entrée, le responsable de la sécurité est au téléphone, en train d’expliquer à un jeune partisan au bout du fil quelques règles élémentaires. « Apporter une pieuvre ici ? Non, ce n’est pas légal. Si on t’attrape, c’est une amende de 500 $, une expulsion et aussi un séjour en prison », explique-t-il le plus sérieusement du monde.

Quelques minutes plus tard, tout juste à l’entrée du vestiaire, Jeff Blashill, entraîneur-chef des Red Wings de Detroit, dit tout ce qu’il y a à dire. « Il n’y aura plus jamais un autre aréna comme celui-ci », résume-t-il.

Le coach a bien raison : non, il n’y aura plus jamais un aréna comme le Joe Louis Arena.

Le « Joe », comme on l’appelle par ici, a été bâti en 1979, au coût de 34 millions de dollars, et quand on y entre, on se croirait encore en 1979. Pas de loges de luxe, pas d’écran géant dernier cri, aucune trace de modernité. Rien n’a changé.

« Je suis arrivé là à 18 ans, à mon premier match avec les Red Wings, et c’était impressionnant, se souvient l’ex-attaquant Martin Lapointe. On connaissait tout le monde, c’était comme une famille. On connaissait les placiers, les gens dans les cuisines, les gens à la sécurité… Aujourd’hui, quand j’y retourne, c’est le même monde qui est encore là, dans les gradins aussi. C’est comme si le temps s’était arrêté. »

L’ancien gardien Chris Osgood, aujourd’hui devenu commentateur, n’a pas oublié sa première fois sur cette glace.

« En patinant vers mon filet, j’ai levé la tête et je me suis mis à regarder au plafond, raconte-t-il. Il y avait toutes ces bannières en haut. À 19 ans, quand tu vois ça, ça te motive tout de suite, parce que tu veux ajouter ta propre bannière. Avant les matchs, on pouvait croiser Ted Lindsay, Gordie Howe. Cet aréna, pour moi, c’est comme un musée. Les bannières, les plaques, les noms qui sont peints sur les murs près du vestiaire… tu ne vois pas ça partout. »

Il y a l’odeur aussi. Surtout à la hauteur de la glace, tout près de l’entrée des joueurs. Une odeur qui rappelle quelque chose comme une poissonnerie.

Chris Osgood : « C’est une place qui sent le hockey. Ça sent l’équipement de hockey, ça sent la sueur, ça sent ce que sentent les petits arénas dans les petites villes… »

Martin Lapointe : « Je me souviens d’une fois où je suis allé ramasser une pieuvre avec mon bâton. J’étais allé au banc ensuite, et les gars ne pouvaient plus respirer. J’ai dû changer de bâton tellement Stevie Yzerman n’était plus capable à cause de l’odeur de la pieuvre qui était restée. »

***

Al Sobotka a 63 ans et il travaille pour les Wings depuis 1971. Il fait tellement partie du décor par ici que la direction du club lui a remis des bagues lors des conquêtes de la Coupe Stanley à partir de 1997. Il est le gérant du Joe, mais dans les faits, on le connaît avant tout parce que c’est lui qui conduit la resurfaceuse… et aussi parce qu’il est le préposé aux pieuvres.

C’est lui qui ramasse les pieuvres qui échouent sur la glace, et souvent, il les fait tourner au-dessus de sa tête. On raconte qu’il y a quelques années, le commissaire Gary Bettman l’a menacé d’une amende de 10 000 $ s’il ne mettait pas fin à cette fière tradition.

Al Sobotka n’a rien voulu savoir.

« Les pieuvres, explique-t-il, ça a commencé à Detroit en 1952 avec Pete et Jerry Cusimano. Ils étaient propriétaires d’une poissonnerie au centre-ville et ils ont réalisé que ça prenait à l’époque huit victoires en séries pour gagner la Coupe Stanley. Huit, comme les huit tentacules d’une pieuvre. Au début des années 90, j’ai commencé à faire tournoyer les pieuvres dans les airs, et les fans ici se sont mis à applaudir. Ça n’a pas cessé et c’est devenu de plus en plus fou à la fin des années 90. Une fois, il y a quelqu’un qui a lancé une pieuvre de 50 livres sur la glace lors d’un match contre l’Avalanche du Colorado. Claude Lemieux s’est mis à patiner vers moi près du filet. Il m’a dit : “Allez, fais-la tournoyer !” C’est une tradition qui ne va jamais mourir. »

Ça non. Hier après-midi, Kevin Dean, copropriétaire de la Superior Fish Company, une poissonnerie en banlieue de Detroit, avait du mal à fournir en vue de la grosse fin de semaine au Joe. « Nous sommes la poissonnerie officielle des fans des Red Wings, explique M. Dean. Ces derniers jours, les ventes de pieuvres, ça ne dérougit pas. Il y a des gens qui entrent ici et qui n’ont jamais eu la chance de lancer une pieuvre sur la glace du Joe. C’est sur leur liste de choses à faire avant de mourir. »

Les pieuvres et le Joe, c’est du sérieux. Au point où la Superior Fish Company offre aux partisans des Wings des conseils et de l’équipement pour transporter les pieuvres. « Souvent, les fans vont coller la pieuvre sous leur chandail des Wings avec du ruban adhésif ou encore mettre la pieuvre dans un porte-bébé », explique Kevin Dean le plus sérieusement du monde.

C’est un peu tout ça qui, au fil du temps, a contribué à faire du Joe un aréna pas comme les autres.

« Je déteste ça quand j’entends des commentateurs à la télé dire que notre aréna est un trou, ajoute Al Sobotka. Le Joe, ce n’est pas un trou. Les gens de Detroit adorent la place, cet aréna a été très bon pour eux. Il n’y a pas un seul mauvais siège ici. »

***

C’est donc en fin de semaine que va se terminer la belle histoire du Joe. Il n’y a plus que deux matchs à l’horaire du vétuste aréna : ce soir contre le Canadien, et le tout dernier, demain soir, contre les Devils du New Jersey.

Ensuite, le Joe sera démoli – la date exacte n’est pas encore connue – et à compter de la saison prochaine, les Red Wings joueront au tout nouveau Little Caesars Arena, juste à côté du stade de baseball et du stade de football, en plein centre-ville de Detroit.

Pour les Wings, qui rateront les séries éliminatoires pour une première fois en 26 ans, ce n’est certes pas la façon idéale de faire ses adieux au vieil édifice. Mais pour Chris Osgood, les bons souvenirs vont rester à jamais.

« J’ai toujours cru qu’on avait un avantage au Joe, d’ajouter l’ex-gardien. Ce n’était pas si grand, il n’y avait pas de loges, alors on avait 20 000 fans qui étaient perchés au-dessus de nos têtes. La rondelle rebondissait toujours de manière bizarre sur les bandes, mais nous, on connaissait tous les rebonds imaginables dans cet aréna. C’était à notre avantage. »

Sur la glace du Joe, les Red Wings auront gagné quatre fois la Coupe Stanley. Le Joe, c’était aussi les combats de boxe, les concerts. Le Joe, c’était Detroit.

Al Sobotka va probablement verser une larme ou deux au moment de stationner sa resurfaceuse pour une dernière fois, dimanche soir. Ensuite, il va faire ce qu’il y a de plus naturel à faire pour un gars de cette ville sans prétention : « Quand ce sera fini, je pense que je vais aller me chercher une bière… »

27 décembre 1979

Pas que cette rencontre entre les Blues de St. Louis et les Red Wings soit passée à l’histoire, mais elle fut la première à être disputée au Joe, après le déménagement des Wings, qui venaient de quitter le vieil Olympia de Detroit. C’est un joueur des Blues, Brian Sutter, qui a marqué le premier but de l’histoire du Joe.

26 mars 1997

Certes pas un match pour les puristes. En pleine rivalité Avalanche-Wings, la marmite saute ce soir-là : Darren McCarty se lance sur Claude Lemieux pour venger un coup vicieux de ce dernier sur Kris Draper, et les deux gardiens, Patrick Roy et Mike Vernon, se sautent dessus à grands coups de poing dans la figure.

7 juin 1997

Après une sécheresse de 42 ans sans Coupe Stanley, les Red Wings réussissent enfin à aller jusqu’au bout. Après des échecs répétés, les Wings passent en grande finale et balaient les Flyers de Philadelphie en quatre parties.

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