OPINION SYLVAIN CHARLEBOIS

ÉVOLUTION DES HABITUDES ALIMENTAIRES
Quelle sera la juste part pour l’agriculteur ?

Vous souvenez-vous du fameux pot de cornichons et des trois cents de profit ?

Pendant des mois, l’Union des producteurs agricoles (UPA) brandissait un pot de cornichons afin de souligner que, malgré une hausse du prix de vente, les producteurs recevaient peu en retour pour les produits alimentaires que l’on achète.

Dans le cas du pot de cornichons, l’Union prétendait que trois cents supplémentaires par pot auraient permis aux producteurs de couvrir leurs frais. C’est peu, bien sûr, mais est-ce vraiment le cas ?

Étude américaine

Le United States Department of Agriculture (USDA) s’est récemment penché sur la question pour mesurer la portion due aux agriculteurs américains. Selon le rapport de l’agence, entre 20 et 25 % du prix de chaque produit alimentaire revient à l’agriculteur. 

Plus un produit est transformé, moins le retour aux agriculteurs est important.

En restauration, ce retour n’atteint qu’un maigre 4 %, selon le même rapport. Les Américains dépensent maintenant 55 % de leur budget alimentaire à la consommation hors ménage, alors quelle sera la juste part pour l’agriculteur ?

La situation au Canada

Juxtaposons ces chiffres au marché canadien. Cette statistique nous préoccupe, puisque beaucoup de Canadiens consacrent une large partie de leur budget alimentaire à la restauration rapide ou à des solutions alimentaires qui les éloignent de leur cuisine. 

Selon un sondage de l’Université Dalhousie datant du mois dernier, près de 40 % des consommateurs de 38 ans ou moins sortent au restaurant au moins une ou deux fois par semaine. Ce n’est pas étonnant de constater que les jeunes sortent plus, mais ce pourcentage est l’un des plus élevés jamais enregistrés.

Sortir est une chose, mais on assiste aussi au phénomène de la consommation d’aliments provenant de l’extérieur en restant à la maison. Par des applications numériques bien connues, plusieurs restaurants livrent leurs plats à domicile et, parallèlement, des entreprises comme Goodfood et MissFresh offrent un service de livraison de leurs repas prêts à cuisiner.

Au coût de 9 à 12 $, vous recevez un plat que vous cuisinerez en quelques minutes. Une solution facile, simple, pratique et de plus en plus populaire, surtout chez les jeunes professionnels. Mais, encore une fois, les agriculteurs reçoivent peu de cet argent.

Le rapport de la USDA ne mentionne rien à propos des plats prêts à cuisiner, mais étant donné les frais d’exploitation et de main-d’œuvre associés au service, il y a fort à parier que la part versée à l’agriculteur n’atteint pas 20 %.

Un bien petit pourcentage

Du coût de nos aliments, la part négligeable versée aux producteurs agricoles ne surprend pas. Les forces de la distribution et les coûts transactionnels supplémentaires minimisent leurs gains au détail. Mais dans le secteur des services alimentaires, leur part est pratiquement quatre fois plus petite à cause des taxes, des services supplémentaires, des emballages, des pourboires et d’autres éléments qui s’ajoutent au prix.

Opter pour des solutions de repas prêts à manger coûte généralement plus cher, tandis que les agriculteurs reçoivent un plus petit pourcentage. Mais recevront-ils encore moins si un plus grand nombre de consommateurs sortent davantage ? Possiblement.

D’ici 2030, le ménage moyen au Canada consacrera 50 % de son budget alimentaire à la consommation hors ménage. Selon certaines estimations, le ménage canadien dépense actuellement près de 35 % de son budget alimentaire au restaurant. En 2018, la famille moyenne aura dépensé environ 210 $ de plus en alimentation, dont 100 $ iront à la restauration.

Pour cette année, la quote-part des agriculteurs augmentera d’environ 26 $. Un petit 4 $ provenant de la restauration et 22 $ provenant du détail. Avec un taux d’inflation alimentaire de 1,8 %, si l’on applique les ratios prescrits par la USDA, la conversion des achats au détail à la restauration fait en sorte que les agriculteurs perçoivent moins que les autres maillons de la chaîne alimentaire.

Mais il y a de l’espoir. Certains producteurs se prennent en main et développent de belles entreprises afin d’échanger directement avec le consommateur.

Grâce aux nouvelles technologies, il devient facile pour eux de se rapprocher du marché.

Notre quête de solutions alimentaires faciles et pratiques accorde un pouvoir énorme au secteur du service alimentaire. Mais pour nos agriculteurs, y aura-t-il toujours une façon d’en tirer profit ?

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