Opinion  Voile islamique

Abandon de fillettes

Automne 2011. Après 37 ans d’enseignement au préscolaire et au primaire, je commence mon nouveau métier de superviseure de stage à l’université.

Quelques jours après, j’entre dans une classe de maternelle remplie de petites frimousses de 5 ans. Je suis heureuse de les voir jouer durant cette période de jeux libres. Dans le coin-cuisine, une petite fille berce une poupée. Je la regarde attentivement. Non, elle n’est pas déguisée, mais porte ses propres vêtements : un pantalon, un chandail à col roulé à manches longues et une espèce de « poncho » muni d’un capuchon qui lui recouvre la tête et le front. Je m’informe à l’enseignante et, oui, religion musulmane.

— Participe-t-elle à l’éducation physique ?

— Oui, mais en conservant ces vêtements-là.

— Va-t-elle à la sortie à la piscine ?

— Non. Et ne me posez plus de questions sur ce sujet. On ne parle pas de cela à notre école.

Voilà. Cette petite de 5 ans est déjà enfermée dans ce carcan. Et abandonnée dans le silence de tous les adultes qui l’entourent. Moi incluse.

***

J’avais appris que, pour une grande partie des musulmanes pratiquantes, le voile était porté dès que la fille devenait pubère, soit vers l’âge de 11 ou 12 ans. La chevelure rappelant les poils du pubis, elle devait être recouverte pour ne pas susciter l’excitation des hommes… Mais à 5 ans ? Au Québec, en 2011 ?

L’image de cette petite me hante depuis. Je me sens complice du silence.

J’ai tenté à de nombreuses reprises, durant le débat sur la charte des valeurs, de demander à tous ceux qui supportaient les musulmanes voilées : 

– Que fait-on avec les petites filles voilées dans les écoles primaires, enfants privées d’une partie de leur vie d’écolière, déjà convaincues qu’une petite fille n’a pas les mêmes droits qu’un petit garçon ?

– Quelle relation développent-elles avec ce corps qui doit être caché ?

– Comment ces fillettes pourront-elles être à l’aise dans leur corps ?

– Comment se fera leur rapport à la sexualité ?

– Seront-elles capables de retirer ce voile, cette deuxième peau, dans 10, 20 ou 30 ans, si jamais elles le désiraient ? Mais personne ne m’a répondu.

Samedi 11 juillet 2015. Je lis dans le jugement de la Commission des droits de la personne dans l’affaire de la communauté sectaire Lev Tahor que « la religion ne peut servir de prétexte à la négligence d’enfants ou à l’inaction d’organismes publics ».

Même si l’ampleur de cette tragédie n’est pas comparable, j’ai immédiatement repensé à cette petite et à toutes les fillettes en si bas âge que l’on voile, maintenant, ici, au Québec, et surtout à Montréal.

Je souhaite de tout cœur que ces fillettes, devenues femmes, accusent de négligence d’enfants les commissions scolaires et le ministère de l’Éducation parce qu’ils ont fermé les yeux en se targuant de respecter des croyances religieuses que je juge inadmissibles. En attendant, je me sens complice et coupable d’abandon de fillettes.

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