chronique caisse de dépôt et placement

Les charges d’exploitation et frais de gestion externes du bas de laine des Québécois ont presque doublé en trois ans. Francis Vailles a cherché à savoir pourquoi.

Caisse de dépôt et placement

Les salaires et frais de gestion explosent

Pour gérer notre bas de laine, la Caisse de dépôt et placement du Québec doit engager toutes sortes de dépenses. Or, ces charges ont explosé ces dernières années, en particulier le poste « Salaires et avantages sociaux ».

Plus précisément, les charges d’exploitation et frais de gestion externes ont presque doublé, passant de 328 millions en 2014 à 622 millions en 2017, ai-je pu constater à la lecture des documents financiers. Ce bond de près de 300 millions en trois ans survient après cinq ans de stabilité relative de ce poste sous l’ère du PDG, Michael Sabia.

L’année 2017 est celle qui a connu la plus forte augmentation depuis 10 ans, soit de 121 millions, ou 24 %.

Que s’est-il passé ? D’emblée, on pourrait penser que ce gonflement des charges est justifié par les bons rendements de la Caisse, qui ont fait croître l’actif net. Toutefois, cet argument tourne court quand on constate que ces charges ont augmenté précisément de 90 % depuis trois ans, bien davantage que l’actif net (32 %).

De plus, l’essentiel du portefeuille (70 %) est investi dans les marchés boursiers ou obligataires, dont la simple croissance n’exige pas nécessairement plus de dépenses en salaires et autres.

Mais alors, la hausse est-elle justifiée par le projet de Réseau express métropolitain (REM) ou par les immeubles que gère la Caisse ? me suis-je dit. Non, puisque les filiales qui administrent ces actifs ne sont pas comptabilisées dans les charges d’exploitation de 622 millions de la Caisse.

Ces charges comprennent les services informatiques, les loyers de même que les frais de gestion externes, en plus des salaires et avantages sociaux des employés directs de la Caisse.

Le communiqué des récents résultats annuels 2017, publiés le 21 février, ne répartit pas les 622 millions entre ces divers postes. Cette ventilation sera connue en avril, au moment de la publication du rapport annuel.

boom de la rémunération

Toutefois, les rapports des années passées nous permettent d’avoir un éclairage sur cette répartition. Ainsi, entre 2013 et 2016, les deux tiers de la hausse des charges d’exploitation étaient attribuables au boom de la rémunération des employés.

Plus spécifiquement, les salaires et avantages sociaux ont bondi de 131 millions en trois ans, pour atteindre 284 millions en 2016. Cette progression s’explique par la cinquantaine de nouveaux employés (890 au 31 décembre 2016), mais surtout par l’inflation de la rémunération.

En 2013, les salaires et avantages sociaux représentaient 182 600 $ par employé, en moyenne. Or, cette somme est passée à 319 100 $ en 2016, peut-on conclure des chiffres officiels publiés par la Caisse.

Certes, il ne s’agit pas des sommes que touchent les employés sur leur paye, puisqu’une partie est attribuable aux avantages sociaux (régime de retraite, assurance médicaments, etc.). Cette rémunération peut également comprendre des bonis, qui sont répartis inégalement entre les employés.

Néanmoins, ce bond moyen de 136 500 $ représente une hausse de 75 % en trois ans, du jamais vu à la Caisse. Pendant cette période, les salaires moyens ont crû de 5 % au Canada. De quoi alimenter les pourfendeurs des inégalités de répartition de la richesse.

Quand Michael Sabia est entré en poste en 2009, il a fait de la réduction des frais de gestion l’un de ses objectifs. Les frais étaient alors de 22 cents par 100 $ d’actif.

Dans chacun des cinq communiqués annuels de résultats publiés entre 2010 à 2014, l’institution réitère cet objectif. « Au cours de la dernière année, la Caisse a poursuivi ses efforts pour améliorer son efficacité et a continué de porter une attention particulière à ses charges d’exploitation », est-il écrit à chacune de ces années.

Puis, la phrase a été modifiée au communiqué de 2015 pour disparaître complètement en 2016 et 2017, l’institution se contentant de dire que son niveau de dépenses « se compare favorablement à celui de son industrie ».

Il faut dire que les frais de gestion, descendus jusqu’à 16 cents par 100 $ d’actif en 2014, se sont remis à grimper progressivement, atteignant 22 cents en 2017, précisément le même niveau jugé trop élevé de 2009.

Comité de direction plus gros

La composition du comité de direction de la Caisse est en quelque sorte le reflet de cette augmentation des dépenses. Le comité est passé de 10 membres en 2009, lors de la première année de Michael Sabia, à 15 membres en 2017. Et ces 15 membres n’incluent ni le chef des placements, ni le patron de l’immobilier, contrairement à 2009.

Michael Sabia a récemment annoncé qu’il ne pourvoira pas spécifiquement le poste de l’ex-chef des placements Roland Lescure et qu’il préparait plutôt des changements dans l’organisation de son équipe.

Le comité de direction comprend trois premiers vice-présidents (PVP) qui sont responsables des placements privés et infrastructures, ainsi que deux PVP orientés vers les relations publiques.

Selon ce que je constate, la Caisse a ouvert les vannes des dépenses pour embaucher des employés à l’international et dans les placements privés afin d’obtenir de meilleurs rendements à long terme. Et dans le marché actuel, qui regorge d’argent, il y a une certaine surenchère dans la rémunération des gestionnaires de portefeuille.

Il reste que l’explosion des charges et de la rémunération à la Caisse est préoccupante. Il faudra s’en souvenir au cours des prochaines années, surtout si la nouvelle stratégie de la Caisse n’apporte pas une plus-value significative.

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La réplique

L’essentiel de la hausse des charges d’exploitation s’explique par l’ouverture de bureaux internationaux, soutient le porte-parole de la Caisse de dépôt et placement, Maxime Chagnon.

Selon ses réponses reçues par courriel, 45 % de l’augmentation vient de cette stratégie, destinée à aider la Caisse à profiter des occasions de marché. Le porte-parole n’a pas expliqué pourquoi, dans ce contexte, le poste « Loyers » des charges d’exploitation n’a pas suivi la courbe ascendante à laquelle on devrait s’attendre (il est passé de 12 millions en 2013 à 16 millions en 2016, ce qui représente 2 % de la hausse).

Autre explication du porte-parole : le déploiement de beaucoup de capital dans le placement privé et les infrastructures, « qui nécessite davantage de main-d’œuvre que pour les actifs liquides […] [avec] des équipes spécialisées et sur le terrain ».

M. Chagnon n’a pas commenté spécifiquement l’explosion de 75 % de la rémunération moyenne, à 319 100 $. Je lui ai demandé si cette hausse sur trois ans pouvait s’expliquer par des bonis exceptionnels, qui seraient appelés à descendre en cas de correction des marchés, mais il n’a pas répondu à cette question. Il a plutôt parlé du contexte concurrentiel de l’institution.

« La majorité des employés embauchés l’ont été en investissement et leurs salaires doivent refléter les pratiques du secteur, [auquel] nous livrons une concurrence pour l’acquisition des meilleurs talents. »

— Maxime Chagnon, porte-parole de la Caisse de dépôt et placement du Québec

Il a précisé que la Caisse participe à des études de marché sur le sujet.

Concernant le gonflement de l’équipe de direction, passée de 10 à 15 membres sous l’ère Sabia, le porte-parole dit : « Nous nous dotons tout simplement des expertises nécessaires pour livrer notre mandat et exécuter notre stratégie de la meilleure façon. »

M. Chagnon n’a pas répondu à la question : « Le remaniement envisagé prochainement par Michael Sabia dans la foulée du départ de Roland Lescure prévoit-il une cure minceur au comité de direction ? »

Plus généralement, il écrit que « la Caisse mettra toujours les moyens nécessaires – de façon rigoureuse et encadrée – afin de générer les rendements requis par ses déposants, tout en atteignant les cibles de risque identifiées ».

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