ANALYSE

Pour l’harmonisation du RRQ au RPC

Après des années de déni et d’obstruction par le gouvernement de Stephen Harper, le Canada va enfin bonifier son régime de pension public pour s’assurer que les moins de 40 ans aujourd’hui disposent d’un revenu décent à la retraite.

La loi qui renforce le Régime de pensions du Canada (RPC) a été sanctionnée par le gouverneur général le 2 mars.

Son adoption est le fruit d’efforts des syndicats, de plusieurs partis politiques et des pressions feutrées de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Le temps qu’il a fallu pour y arriver est à la fois dû à l’obstruction du gouvernement Harper et au lobby très actif de groupes patronaux, et tout particulièrement de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI).

« Notre travail acharné et votre support ont permis de repousser la mise en place de la bonification à 2019 et sa totale application à 2025 – 15 ans après le début de notre bataille ! [Souligné par la FCEI] », se vante son président Dan Kelly sur le site de la fédération.

Peut-on imaginer pire désengagement envers les travailleurs canadiens, les plus jeunes en particulier ?

Hélas, oui !

Le Québec refuse jusqu’ici d’harmoniser le Régime de rentes (RRQ) à la bonification du RPC.

Après une rapide consultation en commission parlementaire en janvier, où la très grande majorité des 19 mémoires présentés a pourtant préconisé l’harmonisation (dont celui de l’Institut canadien des actuaires), le gouvernement Couillard vient d’en lancer une nouvelle cette semaine, en ligne cette fois-ci.

Dans cette consultation, il propose trois options : le statu quo (sans bonification), l’harmonisation avec le RPC et sa troisième voie, plutôt bancale, qui soustrairait à la bonification au moins la moitié du salaire. La première moitié (27 450 $) du maximum de gains admissibles (MGA), fixé à 54 900 $ l’an dernier, ne serait pas sujette aux nouvelles cotisations.

Or, comme le salaire annuel médian était à peine de 40 000 $ au Québec l’an dernier, la moitié des salariés québécois n’accumuleraient une rente bonifiée que sur 12 550 $ de leur revenu, ce qui les pénalisera considérablement, leur retraite venue. Quant à l’autre moitié, elle pourra bonifier sa rente seulement sur la partie du salaire qui excède 27 450 $. Cela les pénalise aussi par rapport à tous les autres travailleurs canadiens.

En procédant de la sorte, Québec veut avant tout diminuer l’écart entre les prélèvements sur la masse salariale des entreprises québécoises et ceux des entreprises canadiennes.

Présentement, la cotisation au RRQ s’élève à 10,8 % du salaire admissible, payés moitié-moitié par les employés et les employeurs. Dans le reste du Canada, c’est 9,9 %.

Il faut souligner que l’harmonisation du RRQ à la bonification du RPC ne creuse en rien cet écart de 0,9 point de pourcentage.

La bonification n’est donc pas le problème des PME québécoises. C’est plutôt le refus obstiné des entreprises, et en particulier de la FCEI, de voir les contributions patronales augmenter, même si les revenus de retraite doivent être bonifiés. C’est à ce refus que Québec adresse ses salamalecs.

L’écart de cotisations vient dans le retard pris par Québec à réagir à l’affaiblissement de la réserve du RRQ. C’est en 2012 qu’il a corrigé le tir, soit 17 ans après le RPC. Résultat, le RRQ est capitalisé à 15 %, le RPC, à 24,4 %, et il a fallu ajuster les cotisations.

La bonification du RPC sera capitalisée à 100 %, ce qui exclut les mauvaises surprises en cours de route.

Les prélèvements sur la masse salariale sont plus élevés au Québec. Ils atteignent 15,1 %, contre 11,7 % par exemple en Ontario. L’écart de 3,4 points est avant tout attribuable aux cotisions au Fonds des services de santé, qui représentent 5,3 % de la masse salariale au Québec mais 2,0 % seulement en Ontario. Si Québec veut soulager la PME, c’est d’abord cet écart qu’il doit aplanir, plutôt que d’affaiblir les revenus de retraite de ses travailleurs alors qu’il y a pénurie de main-d’œuvre dans plusieurs métiers spécialisés.

Rappelons-le, le Québec a le taux d’emploi le plus élevé au pays parmi la cohorte des 25-54 ans : 84,0 %, contre 82,4 % pour tout le Canada et 82,0 % pour l’Ontario, selon Statistique Canada.

Ce n’est pas avec des perspectives de retraite enlaidies que les entreprises d’ici vont parvenir à retenir les travailleurs les plus jeunes et encore moins à en attirer des autres provinces.

Le plus paradoxal dans ce combat d’arrière-garde, c’est que Québec et ses lobbies patronaux ont tous salué la conclusion de l’Accord de libre-échange canadien (ALEC), conclu le 7 avril. Selon la note de la FCEI à ses membres, « l’ALEC simplifiera les règles vous permettant d’embaucher des travailleurs d’autres provinces ».

Comment tirer pareille conclusion quand la non-harmonisation des deux régimes publics de retraite constitue de facto une barrière interprovinciale, en plus de représenter un casse-tête de paperasserie pour les entreprises dont une partie de la main-d’œuvre seulement est ou sera au Québec ?

Voilà pourquoi il est dans l’intérêt du Québec, de ses travailleurs et aussi de ses entreprises d’aligner le RRQ sur le RPC. Les mêmes règles pour tous, voilà qui favorise le mieux le développement des affaires !

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