Chronique

Boisvert-Ghomeshi

Est-ce que l’acquittement spectaculaire de Jian Ghomeshi va décourager les victimes d’agression sexuelle de porter plainte ? Peut-être. Ce serait franchement terrible si c’était le cas. Mais n’allez pas blâmer le juge. N’allez pas blâmer « le système ». Regardez plutôt du côté de la police de Toronto et des procureurs qui ont mené ce dossier tout croche.

Et aussi des trois plaignantes, qui ont menti à la police sous serment, menti aux procureurs, menti à la cour. Il y a un article dans le Code criminel là-dessus aussi : le parjure.

Je ne parle pas de « mensonges » parce que Ghomeshi a été acquitté. Je ne parle pas de mensonges sur les gestes reprochés. Je parle de mensonge qu’elles-mêmes ont avoué en cour.

Ce n’est pas parce qu’elles ont contacté leur supposé agresseur après les faits que le juge ne les a pas crues. Ce n’est pas parce qu’elles ne se sont pas comportées comme une victime devrait « normalement » se comporter. Ce n’est pas parce que l’une d’elles a envoyé sa photo en bikini. Ou qu’une autre a écrit le lendemain de l’événement qu’elle voulait « le baiser jusqu’à ce que son cerveau saute ».

C’est d’abord et avant tout parce qu’elles ont juré ne jamais l’avoir recontacté tellement elles étaient traumatisées.

Quand une victime dit qu’elle avait une peur bleue de l’accusé après l’événement, et qu’on découvre qu’elle lui envoie une lettre d’amour de plusieurs pages qui finit par « I love your hands », c’est embêtant. Mais si en plus elle a dit sous serment ne jamais l’avoir recontacté, on a un gros, gros problème !

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La conduite des trois femmes après les événements soulève des doutes sur leur version, c’est l’évidence. Mais « l’impact négatif de cette conduite après les faits est surpassé par le fait qu’elle n’a jamais révélé ceci à la police ou au procureur de la poursuite », écrit le juge William Orkins.

Je défie quiconque de trouver une faille logique dans ce jugement. Dieu sait que la justice a des défauts dans ce pays. Mais cette décision est absolument impeccable.

Quoi, faudrait-il faire une exception aux principes de droit dans les cas d’agression sexuelle pour encourager les dénonciations ?

C’est ce que j’entendais hier de gens réputés sensés. Certains remettaient en question le droit au silence : Ghomeshi n’a pas parlé ! Ou alors : le fardeau de la preuve est trop exigeant !

Bien sûr qu’il est exigeant. Et il l’est pour une excellente raison : pour éviter la condamnation d’innocents. Avez-vous vu Making a Murderer ?

Il est faux de prétendre qu’il faut une « preuve parfaite » pour obtenir une condamnation. Il faut plus qu’un « on dirait bien ». Un « ç’a l’air que ». Ou même un « c’est probablement arrivé ». C’est vrai. Il faut un degré de certitude raisonnable. Ce qui veut dire que parfois, même si le juge ne croit pas l’accusé, il doit l’acquitter parce que la preuve en général est trop faible.

Mais le cas Ghomeshi est le plus mal choisi pour avoir ce genre de discussion. Pour la simple raison qu’il ne s’est pas décidé sur la préférence du juge pour une version ; ou même sur un doute général ; l’acquittement était inévitable à cause des dissimulations des plaignantes.

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Il ne faut pas oublier comment ce dossier est apparu. Le Toronto Star a publié à l’automne 2014 une enquête avec plusieurs témoignages de femmes sur les pratiques sexuelles brutales de la plus grande vedette de radio au pays. Ghomeshi disait que c’était du domaine privé, que tout était consentant. Ces femmes disaient que ce ne l’était pas.

Pressée de « faire quelque chose », la police a fait un appel aux victimes anonymes pour qu’elles portent plainte. Elles en ont beurré un peu plus. Elles ont « omis » quelques détails troublants.

Et dans cette atmosphère, très rapidement, sans vérifier à fond, on a déposé des accusations pour des faits remontant à 10 ans.

Je rappelle ce détail : dans les trois cas, il n’y a eu aucun contact sexuel, même d’après les plaignantes. Aucun attouchement. Aucune relation sexuelle.

Les gestes reprochés étaient : cheveux tirés brutalement, un coup à la tête, une gifle, un étranglement. Comme il y avait des baisers, c’était dans un « contexte d’intimité », et donc ce qui autrement aurait été des « voies de fait simples » devenait une « agression sexuelle ». Les trois plaignantes disent avoir eu peur, être parties, et n’avoir plus recontacté Ghomeshi.

L’une lui a fait une fellation le lendemain – elle avait oublié de le dire à la police ; une autre, supposément étranglée, lui a écrit ensuite « j’aime tes mains », mais a aussi affirmé ne plus jamais l’avoir contacté. Etc.

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Est-ce que ça veut dire que « rien ne s’est passé » ? Non. Est-ce que ça annonce un acquittement pour l’autre procès que doit subir Ghomeshi en juin ? Aucune idée. Est-ce que ça veut dire que Ghomeshi n’a pas fait de harcèlement, ou qu’il n’est pas légèrement étrange, ou qu’il devrait être rembauché par CBC ? Mais non. Je veux dire : ce n’est pas ça, le sujet. « Ma conclusion selon laquelle la preuve soulève un doute raisonnable ne signifie d’aucune manière que les événements ne sont pas survenus », écrit le juge. Simplement, il est impossible de conclure, avec un quelconque degré de certitude ou de confort, ce qui est vrai et ce qui est faux. » Voilà qui me semble incontestable.

Ce qui revient à dire : avant de permettre à l’État d’envoyer quelqu’un en prison, ça prend une preuve sérieuse. Celle-là ne l’était pas.

L’idée selon laquelle il faut absolument et automatiquement qu’un juge (ou la police, ou la poursuite) croie une plaignante n’est pas seulement fausse. Elle est dangereuse.

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