Éditorial : Éducation

Ta-dam, plus de diplômés !

Vos paupières sont lourdes, l’éducation est une priorité, le taux de diplomation augmente constamment au secondaire…

Encore une fois, le ministère de l’Éducation joue au prestidigitateur avec son nouveau bulletin statistique. Sur papier, le Québec s’approche bel et bien de sa cible de 80 % de diplômés d’ici 2020, mais ce n’est pas parce que les résultats sont à la hauteur. C’est parce que le Ministère a baissé la barre.

Vrai, certains progrès s’observent depuis trois ans. Mais la moitié de la hausse récente du taux de diplomation s’explique par la nouvelle méthode de calcul. Depuis 2008, on amalgame les diplômes au secondaire avec les différents certificats et qualifications.

Un jeune qui n’a même pas les compétences de lecture de deuxième secondaire est ainsi comptabilisé de la même façon qu’un autre qui a suivi un parcours ordinaire.

Les rapports du Ministère ressemblent à un meuble mal assemblé. Il faut utiliser les notes de bas de page et les annexes pour les démonter et les rendre intelligibles.

Voici le véritable taux de diplomation des études secondaires :

2008-2009 : 68,8 %

2014-2015 : 72,7 %

Que se passe-t-il quand on ajoute les autres diplômes, certificats et qualifications ? Ta-dam ! On s’approche de la cible de 80 %.

Taux de diplomation, version vie en rose

2008-2009 : 71,9 %

2014-2015 : 78,8 %

C’est la même chose pour le taux de décrochage.

Voici la version décapée, sans les qualifications :

2007-2008 : 25,2 %

2013-2014 : 23,9 %

Et quand on utilise les lunettes du Ministère et que l’on voit la vie en rose …

2007-2008 : 25,2 %

2013-2014 : 17,4 %

Et encore là, ces moyennes provinciales cachent des retards particuliers :  ceux des garçons, des élèves vulnérables, du réseau francophone et enfin du réseau public écrémé par le privé. Même en utilisant la méthodologie du Ministère, leur retard est évident.

Taux de diplomation et qualification en 2014-2015 (après sept ans)

Moyenne provinciale : 78,8 %

Réseau public 74,9 % vs privé 93,3 %

Réseau francophone 78,4 % vs anglophone 84,6 %

Élèves EHDAA 48,3 % vs sans diagnostic 82,4 %

Garçons 73,8 % vs filles 83,9 %

Fait important à noter, ces chiffres précèdent le ralentissement des dépenses en éducation et les compressions qui en ont découlé.

***

Insistons : il ne s’agit pas du tout de critiquer les enseignants et les autres intervenants en réussite scolaire, qui accomplissent un travail admirable avec trop peu de ressources. Il ne s’agit pas non plus de critiquer les programmes de formation et de qualification, qui permettent de raccrocher des jeunes en difficulté.

Le problème est politique. Le printemps dernier, le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, a dévoilé une ambitieuse liste de propositions : maternelle à 4 ans pour tous, école obligatoire jusqu’à 18 ans, nouvelle formation et ordre professionnel pour les enseignants, financement adapté pour les élèves en difficulté et création d’un Institut national d’excellence en éducation.

Lors des consultations l’automne dernier, chaque mesure le moindrement controversée s’est butée à un lobby. M. Proulx doit dévoiler son plan ce printemps. Plus il cache les retards, plus il s’enlève des munitions pour donner le coup de barre nécessaire.

En Ontario, le véritable taux de diplomation des jeunes francophones dépasse les 90 %. Pourquoi ne serait-ce pas le cas ici ?

***

DEP : diplôme d’études secondaires

ASP : attestation de spécialisation professionnelle

CFER : certificat de formation en entreprise de récupération

CFMS : certificat de formation à un métier semi-spécialisé

CFPT : certificat de formation préparatoire au marché du travail

ISPJ : certificat en insertion socioprofessionnelle des jeunes

AFP : attestation de formation professionnelle

***

Le Ministère voit aussi tout en rose pour les élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA). Leur taux de diplomation officiel est de 48 %. Mais en enlevant les certificats et les qualifications, il chute à seulement 28 %. À titre de comparaison, au Massachusetts, ce taux dépasse les 60 %.

Il n’y a toutefois pas que du négatif. Peu importe la méthode de calcul, le taux de diplomation de ces enfants augmente au Québec, et ce, même s’ils deviennent plus nombreux. Cela révèle à la fois les efforts du réseau à les intégrer et une possible tendance au surdiagnostic.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.