Chronique

L’allocation pour enfants programmée pour fondre

Pas de doute, la nouvelle Allocation canadienne pour enfants (ACE) qui entrera en vigueur en juillet sera un gros plus pour la majorité des familles. Malheureusement, ce « plus » risque de s’évaporer subtilement d’ici une dizaine d’années.

Avant de vous expliquer pourquoi l’ACE est programmée pour fondre, laissez-moi d’abord vous expliquer ce que vous allez retirer de cette réforme majeure.

L’ACE est une allocation valant jusqu’à 6400 $ par année par enfant de moins de 6 ans et jusqu’à 5400 $ par enfant de 6 à 17 ans.

Les parents commenceront à recevoir le nouveau versement mensuel le 20 juillet prochain.

L’ACE remplacera la Prestation fiscale canadienne pour enfants (PFCE) et son supplément, ainsi que la Prestation universelle pour la garde d’enfants (PUGE) et le fractionnement de revenus pour les couples avec des enfants mineurs, deux mesures conservatrices critiquées pour servir davantage les familles mieux nanties où l’un des parents reste à la maison.

En donnant une seule somme, plus généreuse, la nouvelle ACE aura le grand mérite d’être plus simple. Et comme la nouvelle allocation est non imposable, les parents n’auront pas à en rembourser une partie en faisant leur déclaration de revenus, comme c’était le cas avec la défunte PUGE.

DANS VOS POCHES

Les familles à revenus faibles ou moyens sont les grandes gagnantes de la réforme, comme le confirme une étude publiée aujourd’hui par la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke qui a analysé une kyrielle de scénarios.

Prenons l’exemple fictif de Jasmine et de David qui gagnent respectivement 30 000 $ et 45 000 $, pour un revenu familial de 75 000 $. Désormais, le couple recevra 3630 $ d’ACE pour sa petite Alice qui a moins de 6 ans. C’est 1362 $ de plus qu’avec les anciennes mesures combinées. Un gain très significatif.

Mais à l’inverse, les familles qui ont des revenus plus élevés vont y perdre au change.

Si Jasmine et David avaient des revenus supérieurs à 150 500 $, ils recevraient moins d’argent avec la nouvelle allocation qu’avec les anciennes mesures. C’est le point mort pour les couples avec deux revenus (40 %/60 %) et un enfant de moins de 6 ans.

Et si leurs revenus combinés dépassaient environ 190 000 $, ils ne recevraient plus rien du tout, alors qu’auparavant, ils profitaient du fractionnement de revenus et de la PUGE qui était universelle.

N’empêche, l’ACE sera plus généreuse pour près des trois quarts des profils analysés par la Chaire, soit pour 23 types de famille sur 32.

PROMESSE ET RÉALITÉ

Le hic, c’est que les libéraux de Justin Trudeau avaient utilisé une calculatrice rose durant la campagne électorale. Ils s’attendaient à ce que l’ACE coûte 1,9 milliard de plus que les anciennes mesures. Finalement, le cadeau coûtera 3,1 milliards de plus, un dépassement qui vient d’ailleurs d’être critiqué par les membres du Comité sénatorial des finances nationales.

Et ce dépassement ne tient pas compte du fait qu’Ottawa a passé dans le tordeur les crédits d’impôt pour les activités physiques et artistiques des enfants d’une valeur de 245 millions. D’accord, il vaut mieux une seule allocation pour enfant que des crédits épars qui complexifient la déclaration de revenus. N’empêche, cette élimination n’était pas prévue.

En outre, le fédéral a taillé les paramètres de l’ACE de manière à en réduire les coûts.

Il faut comprendre que l’allocation diminue graduellement lorsque les revenus d’une famille dépassent 30 000 $. Le taux de réduction de l’ACE est d’ailleurs plus faible que celui de l’ancienne prestation fiscale. Une excellente chose, car en retirant les cadeaux trop vite, Ottawa n’encourageait pas les parents à travailler davantage.

« Avec l’ancienne prestation, on pouvait perdre jusqu’à 33 cents par dollar additionnel gagné. Imaginez quand on ajoutait l’impôt ! »

— Luc Godbout, titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke

Malheureusement, le taux de réduction de l’ACE est un peu plus élevé que dans le plan présenté durant la campagne. C’est technique. Peu de gens le savent. Mais ça fait une différence. Particulièrement pour les familles de quatre enfants. Certaines recevront presque 4000 $ de moins à cause de ce changement. Pas banal.

VICE CACHÉ

Mais il y a plus préoccupant encore. En analysant l’ACE sous toutes les coutures, Luc Godbout a été surpris de constater que le programme n’était pas indexé. Le bonbon d’Ottawa est donc appelé à fondre avec le temps sous l’effet de l’inflation.

« Les sommes additionnelles ajoutées par le gouvernement s’amenuiseront tranquillement et pourraient disparaître dans une dizaine d’années », avertit M. Godbout.

Les familles seront doublement perdantes.

D’une part, comme l’allocation est fixe, les sommes versées en ACE perdront graduellement de la valeur en raison de la hausse du coût de la vie.

D’autre part, les familles verront leurs revenus augmenter au fil des ans en raison de l’inflation. Cela fera en sorte qu’elles recevront une somme moindre d’ACE, puisque l’allocation diminue lorsque les revenus grimpent, comme je vous l’expliquais un peu plus haut.

C’est donc toute la structure de l’ACE qu’il faudrait indexer si on ne veut pas que le cadeau soit seulement temporaire. À quoi bon sortir 300 000 enfants de la pauvreté, comme l’a fait valoir Ottawa, si c’est pour les y retourner dans 10 ans ?

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