Changements climatiques

La peur au service du climat

De quoi aura l’air notre planète si on ne fait rien pour freiner les changements climatiques ? Dans The Uninhabitable Earth (« La Terre inhabitable »), le journaliste américain David Wallace-Wells répond par un portrait quasi apocalyptique de notre monde. Celui qui se dit malgré tout « optimiste » fait un pari : miser sur la peur pour pousser à agir.

« C’est bien, bien pire que vous ne le pensez. » Dès les tout premiers mots du livre The Uninhabitable Earth, on comprend qu’on n’est pas dans un conte de Disney.

Dans la première section du livre, le journaliste David Wallace-Wells enchaîne 12 chapitres décrivant les divers « éléments de chaos » qui viendront perturber la Terre si l’être humain ne fait rien pour freiner les changements climatiques. Des chapitres qui portent des titres comme « chaleur mortelle », « noyades », « océans qui meurent », « air irrespirable » ou « effondrement économique » (toutes les traductions sont de nous).

« Ceci n’est pas un livre sur la science du réchauffement climatique ; c’est un livre sur ce que le réchauffement veut dire pour notre façon de vivre sur cette planète », explique l’auteur.

La longue énumération des catastrophes annoncées n’apporte pas nécessairement de faits nouveaux, mais la lire de bout en bout est incontestablement troublant. L’auteur montre notamment que si rien n’est fait, certaines zones du globe deviendront bientôt inhabitables pour l’être humain. Il réussit aussi à nous faire réaliser une réalité souvent sous-estimée : les changements climatiques se déroulent à toute vitesse. David Wallace-Wells rappelle que la majorité du carbone que l’être humain a rejeté dans l’atmosphère l’a été « depuis la première de l’émission Seinfeld » (1989).

« Cela veut dire que si la planète a été menée au bord de la catastrophe climatique en l’espace d’une seule génération, la responsabilité d’éviter cette catastrophe revient à une seule génération également. »

— David Wallace-Wells dans son essai

Plus loin dans le livre, l’auteur offre une autre image illustrant le défi de l’urgence. « Il a fallu 45 ans à New York pour construire trois nouveaux arrêts sur une seule ligne de métro ; la menace d’une catastrophe provoquée par les changements climatiques signifie que nous devons reconstruire entièrement les infrastructures mondiales en un temps considérablement plus court. »

Des « cascades » meurtrières

David Wallace-Wells illustre aussi les dangers encore mal compris de ce qu’il appelle les « cascades » – le fait qu’un problème peut en entraîner un autre. Certaines de ces cascades sont des boucles de rétroaction naturelles. Le réchauffement, par exemple, augmentera la fréquence des incendies de forêt, qui réduiront le nombre d’arbres capables de capter le CO2. Cela fera grimper les concentrations de CO2 dans l’atmosphère, poussant les températures à la hausse dans un cercle vicieux.

D’autres cascades sont humaines. Tant les fortes pluies que les sécheresses peuvent dévaster les collectivités agricoles. Cela se traduit par des déficiences alimentaires qui peuvent miner le développement des enfants alors qu’ils sont encore dans le ventre de leur mère, plombant leurs capacités et les poussant vers la pauvreté.

À qui la faute ?

David Wallace-Wells aborde aussi la question peu discutée de la responsabilité des changements climatiques et des coûts qui en découlent. Il rappelle qu’aux États-Unis, des poursuites contre les pétrolières ont déjà été entamées et qu’un groupe de jeunes poursuit le gouvernement fédéral pour son inaction. Les discussions entre les générations qui ont créé le problème et celles qui subiront le gros des conséquences ne sont sans doute pas réglées ; pas plus que celle entre les pays riches, responsables du gros de la pollution, et les pays pauvres, qui souffrent déjà de ses impacts de façon disproportionnée.

« Il faudrait une vue du monde excessivement idéaliste pour croire que la question de la responsabilité de cette souffrance ne façonnera pas notre géopolitique en temps de crise climatique », écrit l’auteur.

« Optimiste »

Alarmiste, David Wallace-Wells ? L’auteur, en tout cas, ne craint pas le qualificatif. Il rappelle que jusqu’ici, les scientifiques ont pris grand soin de rester circonspects dans leur façon de communiquer la science des changements climatiques, évitant ce qu’il appelle la « pornographie climatique ». Or, pour l’instant, leur message n’a pas eu les effets espérés. « La peur peut aussi servir de motivation », plaide-t-il.

« […] il n’y a pas une meilleure façon de raconter l’histoire des changements climatiques, pas de rhétorique unique susceptible de fonctionner sur un auditoire donné, pas de stratégie trop dangereuse à essayer. Toute histoire qui trouve un écho est bonne. »

— Extrait de The Uninhabitable Earth

On s’étonnera, en lisant un tel livre, que son auteur se décrive comme un « optimiste ». À une époque où certaines personnes décident de ne pas avoir d’enfants pour sauver la planète ou éviter de leur laisser un monde décimé, David Wallace-Wells est devenu père pendant la rédaction de son livre.

« Je sais qu’il y a des horreurs climatiques à venir, parmi lesquelles certaines seront inévitablement vécues par mon enfant […], écrit-il. Mais ces horreurs ne sont pas encore scénarisées. Nous les mettons en scène par l’inaction, et par l’action, nous pouvons les arrêter. » 

Ne reste qu’à espérer que la brutalité du message de David Wallace-Wells pousse effectivement l’humanité à réagir.

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