100 idées pour améliorer le Québec Priorité à la santé

Désordonnances
Ne soyez pas malades de vos médecins

L’urgentologue Alain Vadeboncoeur présente des conseils plus ou moins pratiques pour survivre en santé dans un livre simple et humoristique. Désordonnances est finaliste pour les prix Hubert-Reeves, catégories Grand public, décerné par l’Association des communicateurs scientifiques du Québec.

S’il nous arrive de lire que nous sommes « malades de nos médecins », vous conviendrez avec moi qu’il faut diagnostiquer avec plus de précision cette maladie. Parce que les saignées budgétaires, les ventouses médicales ou les purgatifs organisationnels n’auront bien sûr aucun effet sinon. Le mal ne semble toutefois ni affecter la durée de la vie ni notre état de santé, parce que les indicateurs de santé montrent que nous sommes dans la moyenne des pays comparables.

Concentrons-nous sur la qualité de vie d’un groupe important: les patients. Et comme indicateur, prenons les délais d’accès en cabinet et à l’urgence. Ah ! Je sens que je touche un point sensible ! Personne ne le niera, le Québec se trouve, année après année, parmi les pires pays développés pour ces deux aspects. Attendre longtemps pour voir son médecin, poireauter dans la salle d’attente de l’urgence ou percoler deux jours sur une civière affecte sans aucun doute la qualité de vie du patient.

Pour y voir clair, remontons en 1971, alors que le Québec rattrape les autres provinces canadiennes, ce qui transforme le rapport entre médecins et patients, parce qu’on peut maintenant se faire soigner correctement sans craindre les dépenses. La médecine est alors en pleine ébullition. Les découvertes qui se succédent ont un impact majeur sur les perceptions des gens et leurs attentes, surtout quand nos médias, friands de nouveautés, de miracles et d’émotions fortes, rajoutent une couche de merveilleux. C’est qu’on pourra bientôt apparemment tout guérir ! Il est vrai que le développement est phénoménal. Les laboratoires mesurent les données biologiques avec de plus en plus de précision, la radiologie dévoile des images inouîes et on peut même s’acheter un appareil à pression portatif à la pharmacie !

Tout ce brouhaha rassure les uns, mais transforme les plus inquiets en malades imaginaires, à l’affût du moindre symptôme à offrir en guise d’offrande sur l’autel médical. D’où une certaine tension entre l’espoir et les déceptions vécues. La médecine de suivi permet dès lors de suivre – justement – toutes ces variables numériques. La première ligne tend donc à se réorganiser dans une logique individualiste, dont la trame narrative s’appuie sur une suite de rendez-vous pris des mois à l’avance, ce qui retarde d’autant l’accès au médecin des personnes souffrantes. Mais au moment même où s’élaborent les idées théoriques et pratiques de cette médecine de suivi, notamment incarnées dans l’examen médical périodique qui marque des générations d’étudiants en médecine, on constate que son application concrète est moins réussie que prévu et qu’il est bien difficile de voir son médecin quand on est malade.

La lecture des grands titres pousse parfois à désespérer. Mais en fait, la plupart de ce qui s’accomplit dans le systême de santé se déroule bien.

On attend pour voir un médecin, les délais dans les urgences sont longs et certains tests sont difficiles d’accès, mais quand on examine toutes les données, on voit que l’accès aux spécialistes et aux chirurgies se situe dans la moyenne canadienne, que celui aux laboratoires s’est beaucoup amélioré, que le volume de soins augmente, que la qualité correspond aux standards internationaux, que les développements en recherche foisonnent et que les innovations se multiplient.

Mais la trop longue attente peine à combler des attentes trop grandes. Et il est temps d’y voir. De réduire l’attente pour voir son médecin quand on est malade, sûrement. Il faut aussi moduler nos attentes envers une médecine qui n’est responsable que d’une partie de l’amélioration de notre santé. Notamment en repensant notre rapport à la santé, à la prévention, au dépistage, aux tests et aux traitements. Et à la maladie.

Expliquons mieux le manque de pertinence de certains gestes médicaux, attaquons-nous au surdiagnostic en pleine croissance et limitons la surprescription de médicaments, tous ces problêmes qui grêvent les finances publiques, lestent la pratique médicale et menacent votre santé en prétendant l’améliorer. De l’autre côté, les examens pratiqués doivent être pertinents. Les traitements appliqués doivent avoir un impact positif. Les malades doivent être vus rapidement. Ce n’est pas une grande découverte, il faut simplement pratiquer de la bonne médecine.

Quant à la vraie prévention, parente pauvre de notre systême, elle doit être prise en charge par ceux qui sont bien mieux placés que les médecins : des professeurs aux infirmières praticiennes, des infirmières scolaires aux pharmaciens communautaires, des psychologues aux travailleurs sociaux, des physiothérapeutes aux ergothérapeutes, des nutritionnistes aux préposés, et des animateurs en centre d’accueil aux responsables de la santé-sécurité. Pas n’importe comment, mais dans le cadre d’une vraie politique de prévention. Il faut que les personnes et les communautés reprennent en main ce qui leur appartient, la prévention et les connaissances.

Peut-être que cela vous aiderait à guérir un peu de nos médecins. Et surtout, à être en meilleure santé, puisque vous pourriez ainsi mieux vous faire soigner.

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