Coupe du monde de ski acrobatique de Tremblant

LES SECRETS D’UN CHAMPION

Mikaël Kingsbury, 25 ans, fracasse tous les records. Avec 48 victoires en Coupe du monde – dont 13 consécutives –, il est devenu la semaine dernière l’athlète le plus prolifique de l’histoire du ski de bosses. Quelle est la recette de son succès ? Poursuivra-t-il sa saison sans faute demain sur le parcours de Tremblant ? Un reportage de Sophie Allard.

Coupe du monde de ski acrobatique de Tremblant

« Mikaël est en mission »

MONT-TREMBLANT — Avant ses compétitions, Mikaël Kingsbury a ses habitudes. La veille, il regarde des épisodes des Simpson sur Netflix. Au petit-déjeuner, il avale des œufs nappés de sauce forte. Dans sa chambre d’hôtel, il étend son équipement « comme dans un vestiaire de hockey », précise-t-il. En piste, il porte à tous coups un vieux t-shirt noir, aujourd’hui délavé et déchiré.

« Je suis un brin superstitieux, mais je n’en fais pas une maladie », souligne le bosseur de Deux-Montagnes. Il sera en action demain devant famille et amis, en quête d’une 14e victoire d’affilée en Coupe du monde. Son immense succès n’est pas dû à son rituel, il le sait, mais bien à sa façon unique de voir son sport, de le vivre. À fond.

« Selon moi, Mikaël est actuellement l’athlète le plus dominant de son sport, tous sports confondus. Y en a-t-il un autre ailleurs dans le monde ? Je serais curieux de voir, avance David Mirota, vice-président sport de Ski acrobatique Canada. Plus il a de la pression, plus il performe. Il a toujours été comme ça. Quand on pense qu’il a tout donné, il en fait encore plus. Beaucoup de pays se sont améliorés depuis deux cycles olympiques, le sport est plus en santé qu’il l’était. Mais Mikaël continue de creuser l’écart. »

« Je suis exactement dans la position où je voulais être en début de saison, a dit hier le bosseur de 25 ans. Dernièrement, je me suis senti super bien en haut du parcours. En fait, je ne me suis jamais senti aussi bien que ça. Je veux continuer d’avoir ces bonnes sensations, d’être intelligent dans mon ski et ma préparation pour arriver en pleine forme à PyeongChang. »

Tout est dans les détails

Médaillé d’argent à Sotchi en 2014, il lorgne le titre olympique avec appétit. Il travaille fort pour y arriver. Tout est planifié : de l’heure à laquelle il se lève à la composition de son assiette, en passant par la gestion du stress. « J’accorde beaucoup d’importance à la psychologie sportive », insiste-t-il.

Le préparateur mental Jean-François Ménard travaille avec lui depuis quelques années. « Mikaël est en mission, résume-t-il. Il est de plus en plus mature, il a fait du très bon travail pour trouver les routines, les méthodes pour optimiser sa préparation et se mettre dans un état optimal quand il a besoin de performer sur demande. Il le fait fois après fois. »

« Est-ce qu’il va toujours gagner ? Pas nécessairement, mais les choses sont à point. Est-ce que ça va mieux qu’on pensait ? Je ne dirais pas. Il a de grandes attentes, son équipe a de grandes attentes. »

— Jean-François Ménard, préparateur mental

En haut de la piste, quand vient son tour, le Québécois s’installe rapidement dans le portillon de départ, « comme en situation d’entraînement ». Jamais il ne regarde le compétiteur qui descend devant lui. Dans sa bulle, il attend, il écoute les scores. Il tend le poing à son entraîneur Rob Kober et il fonce. « J’ai des papillons au ventre, je ressens un peu de nervosité, mais je suis en zone connue. En descendant, je ne pense qu’à absorber rapidement et garder mes hanches en avant. »

Jean-François Ménard est impressionné par l’aisance avec laquelle son protégé arrive à se concentrer sur l’essentiel. « Au-delà du nombre de victoires, c’est la façon dont il gagne qui est exceptionnelle. » En début de saison, à Ruka, il a connu des difficultés lors de sa descente de qualification. La météo a changé de façon drastique, mais il s’est adapté très vite, raconte M. Ménard. « C’est là où il est le meilleur au monde, il est excellent pour mettre son attention sur ce qu’il doit faire, à se créer une bulle. »

De concert avec les athlètes qu’il conseille, M. Ménard élabore une série de scénarios catastrophes. « Ça va de la présence d’une personne qu’on n’aime pas à la neige qui commence à tomber. Ça va de soudaines nausées à la mauvaise humeur d’un coach. Quand un imprévu survient, l’athlète sait comment réagir, ça réduit le stress. »

Le feu sacré

« Ce qui fait la différence entre un bon bosseur et un champion, c’est aussi la passion, croit pour sa part l’ancien champion Jean-Luc Brassard. Mikaël boit du ski acrobatique avec ses céréales le matin ! J’avais cette passion aussi. La journée où je l’ai perdue, mes résultats ont commencé à péricliter, je n’avais plus le feu sacré. Mik l’a. »

Avant même de célébrer son 10e anniversaire, le jeune Kingsbury rêvait déjà d’une carrière olympique. En ski de bosses.

« La première fois que j’ai été conscient de regarder les Jeux olympiques, c’était en 2002. C’est à partir de ce moment que j’ai su ce que j’allais faire dans la vie. Avec l’angle de télé, ils avaient l’air d’aller tellement vite ! »

— Mikaël Kingsbury

Dès lors, le garçon s’est mis à la tâche. Littéralement. Il répétait ses acrobaties l’été, sur des modules de parc, avec son ami Simon Lemieux. Il a même suivi des cours de gymnastique pour améliorer ses sauts. Il a demandé à son père d’installer un trampoline à côté de la piscine. Il découpait tous les articles de journaux portant sur ses idoles, dont Jean-Luc Brassard, le Finlandais Janne Lahtela et l’Américain Jonny Moseley. Il s’imaginait déjà sur un podium, parmi les grands.

Spécialiste en psychologie de la performance, Jean-François Ménard est d’avis que les champions ont cette fibre en eux. « On est d’abord champion dans sa tête. Les athlètes qui gagnent voulaient déjà gagner jeunes. Ça se nourrit et, en vieillissant, ça devient plus gros. C’est quelque chose qu’on construit avec le temps. Est-ce que Mikaël est surpris de gagner ? Publiquement, il répondra oui. Mais il ne l’est pas, il sait qu’il a les habiletés. »

« Mikaël a toujours été un des grands talents de notre sport. On le voyait venir depuis qu’il est tout jeune, affirme son ancien coéquipier Alexandre Bilodeau. C’est un gars qui est hyper passionné par ce qu’il fait. Ça se voit dans sa manière d’agir en compétition. Il veut toujours être sur les pentes, jamais tu n’as besoin de le forcer. Il veut toujours apprendre, s’améliorer, repousser les limites. »

« Il ne s’arrête pas au fait qu’il y a un écart entre lui et les autres. Il ne se laisse pas aller, il essaie des sauts, le Cork 1440, ajoute l’ex-champion olympique. Le peloton derrière essaie de s’ajuster que déjà Mikaël pousse plus loin. »

Mikaël Kingsbury est insatiable. « Je peux regarder des vidéos de ski acrobatique pendant des heures et des heures sans voir le temps passer. Je peux être en auto, tomber dans la lune et ne penser qu’au ski. J’entends une chanson, ça me fait penser à un moment en compétition. Peu d’athlètes sont passionnés à ce point. »

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Le terrible secret des sœurs Dufour-Lapointe

MONT-TREMBLANT — Les sœurs Dufour-Lapointe vivaient avec un terrible secret depuis près d’un an. Hier, elles ont finalement décidé de le révéler.

« L’hiver dernier, nous avons appris que notre maman était atteinte du cancer, et ça nous a affectées, que tu le veuilles ou non, a déclaré Chloé Dufour-Lapointe, le trémolo dans la voix. Ça change des vies, ça te renverse. »

Bien qu’elles n’aient pas voulu révéler la nature exacte de la maladie, elles ont tout de même tenu à préciser que Johane Dufour-Lapointe, qui est âgée de 57 ans, était en rémission depuis le mois d’août.

Pour souligner l’événement, les filles ont offert à celle qui est aussi leur agente un bracelet de perles, car elles savent à quel point elle les adore.

Johane Dufour-Lapointe portait d’ailleurs fièrement ses boucles d’oreille perlées hier, à proximité des pentes, et répétait à qui voulait l’entendre que l’appui de son mari, Yves, et de ses filles avait joué un rôle essentiel dans sa victoire contre la maladie.

D’ailleurs, Justine a assuré que le temps des Fêtes, et particulièrement le jour de l’An, avait été riche en émotions cette année.

« Nous étions exactement là où il fallait être, c’est-à-dire en famille. Nous avons pris un verre de champagne à la santé, ça, c’est certain. »

— Justine Dufour-Lapointe

Les sœurs Lapointe ont décidé d’aborder le sujet publiquement pour se soulager d’un poids.

« Nous voulions le partager avec les gens parce que ça pesait, et que nous souhaitons aller aux Jeux olympiques et être libres, a dit Chloé, qui est âgée de 26 ans. Et on se sent bien aujourd’hui ; on travaille fort afin de remettre le feu dans notre ventre. Mais ça prend du temps, je pense. »

« De plus, c’était important qu’on en parle ici, à Tremblant, parce que nous sommes chez nous, devant nos familles et nos amis, a poursuivi Maxime, l’aînée des sœurs, qui est âgée de 28 ans. Nous voulions marquer un nouveau départ, avant de quitter vers les Jeux. C’est aussi une façon de nous donner de l’énergie et de mettre un petit baume sur notre cœur. »

« Nous sommes toujours blessées, parce que ç’a été une montagne russe d’émotions. Mais là, en 2018, on veut tourner la page. »

— Justine Dufour-Lapointe

Les sœurs Dufour-Lapointe n’ont toutefois pas voulu se servir de la maladie de leur mère comme d’une excuse pour expliquer leur saison en demi-teinte sur le circuit de la Coupe du monde de ski acrobatique.

Après tout, Justine occupe actuellement le septième rang au classement général, loin devant Chloé, 16e, et Maxime, 37e. En vertu de ces résultats, leurs chances d’être toutes les trois sélectionnées pour représenter le pays en Corée du Sud sont beaucoup plus minces cette fois-ci.

Il y a quatre ans, les trois sœurs avaient représenté le Canada aux Jeux olympiques de Sotchi. Justine s’était adjugé la médaille d’or, tout juste devant Chloé. Maxime avait fini 12e.

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La grande famille du ski se réunit

Athlètes olympiques et ex-skieurs étaient tous réunis hier à Tremblant avant le début de la dernière épreuve de Coupe du monde de ski acrobatique avant les Jeux de PyeongChang.

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Philippe Marquis sur ses skis

Philippe Marquis a skié hier une première fois depuis sa blessure subie il y a 10 jours à l’entraînement de Deer Valley. Victime d’une rupture ligamentaire au genou droit, le bosseur de 28 ans ne fait pas une croix sur les Jeux olympiques. « J’ai réussi à skier sur le plat et j’ai même fait une petite descente de bosses au ralenti. Je voulais tester mon genou avec les reliefs, l’absorption, l’attelle. Ça a très bien réagi, je suis dans un état d’esprit positif. » Il a précisé que « la pente est encore abrupte vers les JO », mais que le protocole de traitement et d’entraînement (non orthodoxe et accéléré) est jusqu’ici un succès. Il a de la douleur, « mais si c’est [s]on unique problème, a-t-il dit, on est en business ». Il sera de nouveau sur les pentes aujourd’hui.

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Un week-end de retrouvailles

Ultime rendez-vous avant les Jeux olympiques, la Coupe du monde s’arrête à Tremblant une première fois depuis 2005. Pour souligner ce retour à la station, plusieurs anciens athlètes de ski acrobatique seront sur place ce week-end, dont Yves Laroche, Stéphane Rochon, Jennifer Heil et Stéphanie St-Pierre. Pierre-Alexandre Rousseau, qui a gagné à Tremblant en 2003, a déclaré en conférence de presse hier : « Ça me rappelle d’excellents souvenirs. Les supporteurs, la famille et les amis en profitent toujours pour venir passer la fin de semaine, c’est un lieu rassembleur avec une ambiance survoltée. » Il a aussi parlé de cette tache rouge qu’il a sur la joue. « Une engelure que je me suis faite sur les pentes ici même ! »

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Des journalistes en herbe

Un brin nerveux, quatre élèves de la polyvalente des Monts, à Sainte-Agathe-des-Monts, bénévoles pour le Club des petits déjeuners, ont rencontré en privé Mikaël Kingsbury hier après-midi. Calepin en main, ils ont tour à tour posé des questions au champion. « Est-ce que vous faites la vaisselle aussi ? Vous ratez l’école pour me rencontrer ? », a lancé l’athlète, qui a rapidement détendu l’atmosphère. En soirée, ces journalistes en herbe ont pu rédiger un texte. « C’est un gars simple, comme nous », ont-ils dit, étonnés. Mikaël Kingsbury est ambassadeur du Club des petits déjeuners depuis mai 2017.

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