MONT-TREMBLANT — Avant ses compétitions, Mikaël Kingsbury a ses habitudes. La veille, il regarde des épisodes des Simpson sur Netflix. Au petit-déjeuner, il avale des œufs nappés de sauce forte. Dans sa chambre d’hôtel, il étend son équipement « comme dans un vestiaire de hockey », précise-t-il. En piste, il porte à tous coups un vieux t-shirt noir, aujourd’hui délavé et déchiré.
« Je suis un brin superstitieux, mais je n’en fais pas une maladie », souligne le bosseur de Deux-Montagnes. Il sera en action demain devant famille et amis, en quête d’une 14e victoire d’affilée en Coupe du monde. Son immense succès n’est pas dû à son rituel, il le sait, mais bien à sa façon unique de voir son sport, de le vivre. À fond.
« Selon moi, Mikaël est actuellement l’athlète le plus dominant de son sport, tous sports confondus. Y en a-t-il un autre ailleurs dans le monde ? Je serais curieux de voir, avance David Mirota, vice-président sport de Ski acrobatique Canada. Plus il a de la pression, plus il performe. Il a toujours été comme ça. Quand on pense qu’il a tout donné, il en fait encore plus. Beaucoup de pays se sont améliorés depuis deux cycles olympiques, le sport est plus en santé qu’il l’était. Mais Mikaël continue de creuser l’écart. »
« Je suis exactement dans la position où je voulais être en début de saison, a dit hier le bosseur de 25 ans. Dernièrement, je me suis senti super bien en haut du parcours. En fait, je ne me suis jamais senti aussi bien que ça. Je veux continuer d’avoir ces bonnes sensations, d’être intelligent dans mon ski et ma préparation pour arriver en pleine forme à PyeongChang. »
Tout est dans les détails
Médaillé d’argent à Sotchi en 2014, il lorgne le titre olympique avec appétit. Il travaille fort pour y arriver. Tout est planifié : de l’heure à laquelle il se lève à la composition de son assiette, en passant par la gestion du stress. « J’accorde beaucoup d’importance à la psychologie sportive », insiste-t-il.
Le préparateur mental Jean-François Ménard travaille avec lui depuis quelques années. « Mikaël est en mission, résume-t-il. Il est de plus en plus mature, il a fait du très bon travail pour trouver les routines, les méthodes pour optimiser sa préparation et se mettre dans un état optimal quand il a besoin de performer sur demande. Il le fait fois après fois. »
« Est-ce qu’il va toujours gagner ? Pas nécessairement, mais les choses sont à point. Est-ce que ça va mieux qu’on pensait ? Je ne dirais pas. Il a de grandes attentes, son équipe a de grandes attentes. »
— Jean-François Ménard, préparateur mental
En haut de la piste, quand vient son tour, le Québécois s’installe rapidement dans le portillon de départ, « comme en situation d’entraînement ». Jamais il ne regarde le compétiteur qui descend devant lui. Dans sa bulle, il attend, il écoute les scores. Il tend le poing à son entraîneur Rob Kober et il fonce. « J’ai des papillons au ventre, je ressens un peu de nervosité, mais je suis en zone connue. En descendant, je ne pense qu’à absorber rapidement et garder mes hanches en avant. »
Jean-François Ménard est impressionné par l’aisance avec laquelle son protégé arrive à se concentrer sur l’essentiel. « Au-delà du nombre de victoires, c’est la façon dont il gagne qui est exceptionnelle. » En début de saison, à Ruka, il a connu des difficultés lors de sa descente de qualification. La météo a changé de façon drastique, mais il s’est adapté très vite, raconte M. Ménard. « C’est là où il est le meilleur au monde, il est excellent pour mettre son attention sur ce qu’il doit faire, à se créer une bulle. »
De concert avec les athlètes qu’il conseille, M. Ménard élabore une série de scénarios catastrophes. « Ça va de la présence d’une personne qu’on n’aime pas à la neige qui commence à tomber. Ça va de soudaines nausées à la mauvaise humeur d’un coach. Quand un imprévu survient, l’athlète sait comment réagir, ça réduit le stress. »
Le feu sacré
« Ce qui fait la différence entre un bon bosseur et un champion, c’est aussi la passion, croit pour sa part l’ancien champion Jean-Luc Brassard. Mikaël boit du ski acrobatique avec ses céréales le matin ! J’avais cette passion aussi. La journée où je l’ai perdue, mes résultats ont commencé à péricliter, je n’avais plus le feu sacré. Mik l’a. »
Avant même de célébrer son 10e anniversaire, le jeune Kingsbury rêvait déjà d’une carrière olympique. En ski de bosses.
« La première fois que j’ai été conscient de regarder les Jeux olympiques, c’était en 2002. C’est à partir de ce moment que j’ai su ce que j’allais faire dans la vie. Avec l’angle de télé, ils avaient l’air d’aller tellement vite ! »
— Mikaël Kingsbury
Dès lors, le garçon s’est mis à la tâche. Littéralement. Il répétait ses acrobaties l’été, sur des modules de parc, avec son ami Simon Lemieux. Il a même suivi des cours de gymnastique pour améliorer ses sauts. Il a demandé à son père d’installer un trampoline à côté de la piscine. Il découpait tous les articles de journaux portant sur ses idoles, dont Jean-Luc Brassard, le Finlandais Janne Lahtela et l’Américain Jonny Moseley. Il s’imaginait déjà sur un podium, parmi les grands.
Spécialiste en psychologie de la performance, Jean-François Ménard est d’avis que les champions ont cette fibre en eux. « On est d’abord champion dans sa tête. Les athlètes qui gagnent voulaient déjà gagner jeunes. Ça se nourrit et, en vieillissant, ça devient plus gros. C’est quelque chose qu’on construit avec le temps. Est-ce que Mikaël est surpris de gagner ? Publiquement, il répondra oui. Mais il ne l’est pas, il sait qu’il a les habiletés. »
« Mikaël a toujours été un des grands talents de notre sport. On le voyait venir depuis qu’il est tout jeune, affirme son ancien coéquipier Alexandre Bilodeau. C’est un gars qui est hyper passionné par ce qu’il fait. Ça se voit dans sa manière d’agir en compétition. Il veut toujours être sur les pentes, jamais tu n’as besoin de le forcer. Il veut toujours apprendre, s’améliorer, repousser les limites. »
« Il ne s’arrête pas au fait qu’il y a un écart entre lui et les autres. Il ne se laisse pas aller, il essaie des sauts, le Cork 1440, ajoute l’ex-champion olympique. Le peloton derrière essaie de s’ajuster que déjà Mikaël pousse plus loin. »
Mikaël Kingsbury est insatiable. « Je peux regarder des vidéos de ski acrobatique pendant des heures et des heures sans voir le temps passer. Je peux être en auto, tomber dans la lune et ne penser qu’au ski. J’entends une chanson, ça me fait penser à un moment en compétition. Peu d’athlètes sont passionnés à ce point. »