DANSE CRITIQUE PARADOXE MÉLODIE

Imageries contrastées

La harpe est le cœur pulsant de la nouvelle création de Danièle Desnoyers, Paradoxe mélodie, qui vient conclure la saison de Danse Danse au Théâtre Maisonneuve. Une œuvre tout en contrastes, visuellement et musicalement réussie, menée par les chocs des rencontres entre 10 danseurs à l’individualité affirmée.

Le choix de la harpe comme vecteur de création peut étonner. Associée à une imagerie romantique, objet d’élévation au son cristallin, elle n’évoque pas de prime abord la modernité.

Pourtant, grâce au travail de la charismatique harpiste Éveline Grégoire-Rousseau, qui fait littéralement corps avec son instrument et le manie de mille et une façons, la harpe se transmue en une bête à dompter, objet de dissonance et caisse de résonance, évoquant ici la « slide guitar », là la distorsion rock de la guitare électrique.

Complétée par la trame sonore électroacoustique de Nicolas Bernier à la musique pulsée, qui passe d’enveloppante à entraînante, la table est mise pour une création ancrée dans la contemporanéité, qui joue à fond sur les contrastes de l’instrument en utilisant les corps de 10 danseurs.

JOLI ÉCRIN

Fidèle à son habitude, Danièle Desnoyers propose une pièce visuellement réussie, où chaque élément scénique semble avoir été minutieusement pensé : autant les costumes, aux tons gris contrastés par des couleurs vives comme le jaune et le rouge, dont les matières satinées réfléchissent doucement la lumière, que dans les éclairages nocturnes et enveloppants de Marc Parent, qui habillent et sculptent l’espace.

Un joli écrin, donc, où elle peut déployer sa danse, verbeuse, qui habite la scène entière de déplacements d’abord circulaires, puis diagonaux et latéraux, jouant habilement avec les mouvements d’ensemble, qui oscillent sans cesse entre le synchronisme et le chaos, l’un n’allant pas sans l’autre.

Vibrant comme autant de cordes sur un arc, les 10 danseurs – cinq hommes et cinq femmes – ont chacun leur couleur et, comme ces dernières, peuvent dissoner autant que s’harmoniser les uns aux autres. Sur scène, les corps se croisent, se rencontrent, se lient pour un bref moment ou plus si affinités. Les enlacements langoureux, tout en retenue, y côtoient les frictions des corps aux membres animés d’une frénésie électrique.

La pièce est ponctuée de moments plus délurés et cabotins, où Desnoyers vient notamment jouer – parfois à gros traits – sur les clichés associés à la harpe. Ainsi, ces deux danseuses un peu névrosées, vêtues de crinolines, qui poussent des petits cris hystériques en tentant d’accompagner de leur chant haut perché l’instrument à cordes.

Contrastant avec l’atmosphère plus feutrée de l’œuvre, ces passages donnent l’impression qu’à force de jouer avec les imageries de la harpe, la pièce s’éparpille quelque peu, avec certains passages qui n’ont pas tous le même intérêt ni la même force de frappe.

Au final, Paradoxe mélodie s’avère une œuvre musicalement franchement réussie, un exercice périlleux qui prouve qu’après 25 ans de création, Desnoyers n’a pas peur de se mettre en danger. Pour cela, chapeau.

3 étoiles et demie

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