Analyse

Devoir de réserve

Québec — Fondées ou non, les allégations entourant la conduite du député libéral Gerry Sklavounos sont d’une infinie tristesse. Même en faisant abstraction des conséquences à long terme pour la jeune Alice Paquet, et aussi pour le député, l’impact sur les familles et les proches justifierait la plus grande réserve pour tout ce qui touche cette bien sombre affaire.

Aussi était-il un peu surprenant d’entendre le nouveau chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, chercher la fin de semaine dernière à marquer quelques points politiques en tentant d’entraîner Philippe Couillard dans ce tourbillon, déjà trouble à souhait.

Pour M. Lisée, il est impossible que le premier ministre n’ait pas été mis au courant dès le printemps dernier, au premier contact que Mme Paquet dit avoir eu avec la police municipale de Québec. Après une longue démonstration pour illustrer à quel point il est certain que le chef du gouvernement a été informé, M. Lisée revient en soutenant que si, d’aventure, il ne l’avait pas été, c’était la preuve d’un chef de gouvernement « coupé de ses députés », indifférent aux pires dérives.

Et si ce n’est pas Philippe Couillard qui savait, de poursuivre M. Lisée, peut-on penser que le leader parlementaire libéral Jean-Marc Fournier avait, lui, été informé ? Bien des sous-entendus pour peu de faits concrets.

Après quelques heures de ces attaques, le mot a été lancé à l’endroit de M. Lisée lors d’une entrevue radiophonique hier matin : « démagogie ».

C’est le même Lisée qui, la semaine dernière, avait dénoncé le « cover-up » de toute cette affaire sur la foi de premières informations selon lesquelles la police avait incité Mme Paquet à renoncer à déposer une plainte. La principale intéressée a nié par la suite. À Québec, la police municipale a depuis expliqué qu’après le premier contact, Mme Paquet n’avait plus rappelé les enquêteurs.

Quand ils sont informés, les dirigeants ne badinent habituellement pas avec les dénonciations de gestes inappropriés. Il y a quelques années, à l’époque de Jean Charest, une attachée politique avait prévenu le cabinet du premier ministre qu’elle n’en pouvait plus de subir les propositions, de plus en plus insistantes, de son patron. Quelles que soient les raisons évoquées publiquement, ce dernier n’a pas fait de vieux os au Conseil des ministres.

Sous Pauline Marois, le chef de cabinet adjoint Dominique Lebel avait eu un coup de fil d’un haut dirigeant de la Sûreté du Québec l’informant que la plainte d’une employée contractuelle visant un ministre faisait l’objet d’une enquête. Après quelques rencontres avec la plaignante, la police a cessé l’enquête, concluant qu’elle avait devant elle une amoureuse éconduite qui voulait se venger. Elle avait envoyé des courriels, eu des conversations avec des journalistes qui n’en ont jamais parlé publiquement.

Qu’aurait fait M. Lisée, avec les mêmes informations, à l’endroit d’un adversaire politique ?

Les risques de dérapage sont toujours présents. Il y a un an, les chefs de cabinet des ministres se voyaient rappeler une vieille consigne oubliée ; les attachées politiques n’avaient rien à faire dans le « salon des députés », une salle attenante au bureau du whip où les élus vont jaser en prenant un verre. L’une d’elles s’était retrouvée sur les genoux d’un élu, une situation bien embarrassante pour tout le monde. Depuis, les députés commèrent entre eux.

La semaine dernière, dès que le témoignage de Mme Paquet a fait les manchettes, Philippe Couillard a indiqué que les choses n’en resteraient pas là. M. Sklavounos était forcé de quitter le caucus le jour même. Une sanction sans appel puisque le communiqué ne mentionnait pas la formule usuelle « le temps que l’enquête soit terminée ».

D’ici là, M. Lisée, comme tout le monde, devrait laisser la police faire son travail.

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