Immigration et main-d’œuvre

Il y aura deux Québec dans 20 ans

Vous croyez que le débat sur l’immigration et la main-d’œuvre est passager ? Que le clivage entre Montréal et les régions est sans conséquence ? Vous vous trompez royalement.

Une étude que vient de publier Statistique Canada sur la projection de la population illustre la transformation majeure que subira notre société et les grands défis qui pointent à l’horizon 2036. Et pour ceux qui auraient une crampe mathématique, 2036, c’est dans 17 petites années.

Une première comparaison chiffrée pour comprendre : dans 17 ans, 39,3 % de la population de la région de Montréal sera née à l’étranger, contre seulement 4,3 % dans les régions non métropolitaines (non-RMR) du Québec. Les non-RMR, c’est Drummondville, Saint-Hyacinthe, Shawinigan, Granby et Rouyn-Noranda, par exemple.

Dit autrement, l’écart entre Montréal et ces régions pour les personnes nées à l’étranger sera de 35 points de pourcentage en 2036 (39,3 % moins 4,3 %), contre 27 points aujourd’hui et 18 points il y a 20 ans.

Cet accroissement risque d’accentuer les incompréhensions entre le vieux Québec de souche et le Montréal pluriethnique. Il posera aussi un gros problème de main-d’œuvre en région, où la population vieillit plus rapidement. Dans la région de Toronto, faut-il noter, la part des personnes nées à l’étranger atteindra 57 % en 2036, soit près de 18 points de plus qu’à Montréal !

Statistique Canada a fait une projection de la population active selon différentes hypothèses de croissance démographique et de tendances du marché du travail. Cinq scénarios ont été étudiés.

La population active est composée des gens disponibles pour le marché du travail, soit les travailleurs ou les chômeurs de 15 ans ou plus. Les inactifs sont les retraités et les parents à la maison, essentiellement. La proportion de la population qui est active est déterminante pour la vitalité d’une économie.

Le scénario de référence de l’analyse estime que la croissance de la population active se stabilisera autour de 0,4 % par année à partir de 2021 au Québec. Pendant ce temps, la population inactive grimpera trois fois plus vite (1,2 % par année). La tendance est un peu moins forte au Canada.

Deux grands constats ressortent de l’étude. D’abord, il fallait s’y attendre, plus le temps passe, plus le taux d’activité de la population recule, compte tenu du vieillissement démographique. En 2008, ce taux d’activité atteignait un sommet de 68 % au Canada. Il a reculé à 66 % en 2017 (65 % au Québec) et poursuivra sa descente pour atteindre 64,5 % en 2026 et environ 63 % en 2036 (61,4 % au Québec).

Ce sont les baby-boomers qui sont les principaux responsables tant de la montée de ce taux d’activité depuis 40 ans que de son recul au cours des prochaines années, avec leur retraite. Le recul est inexorable, même si la participation des 50 ans et plus au marché du travail s’accroît (de 43 % en 1995 à 61 % en 2017 chez les hommes de 60-64 ans).

« C’est un paquebot qui est très difficile à faire changer de cap », m’explique l’auteur de l’étude, Laurent Martel.

Deuxième grande conclusion : la part des immigrants dans la population active prendra une importance sans cesse croissante au Canada. Les actifs nés à l’étranger, qui représentaient une personne sur cinq en 1996, sont passés à une personne sur quatre en 2016, proportion qui grimpera à une sur trois en 2036.

« En 2017, 80 % de la croissance démographique canadienne provenait de l’accroissement migratoire, et seulement 20 % de l’accroissement naturel [naissances moins décès] », note M. Martel.

Ces deux tendances du vieillissement et de l’immigration ont une conséquence majeure sur les différences de composition de la population entre les régions. Non seulement l’immigration est moins présente en région, mais la population vieillit aussi plus rapidement.

D’ici 2036, la croissance annuelle moyenne de la population sera de 1,2 % dans la région de Montréal, comparativement à une croissance nulle dans les autres régions métropolitaines (Québec, Sherbrooke, Trois-Rivières, Saguenay, Gatineau). Quant aux régions non métropolitaines, l’étude prévoit une décroissance de 0,1 % par année.

Ces tendances feront décliner le taux d’activité bien davantage dans les régions non métropolitaines du Québec d’ici 17 ans (de 61 % à 55 %) que dans la région de Montréal (de 68 % à 65 %). De fait, le taux d’activité dans les régions non métropolitaines en 2036 (55 %) sera le plus faible du Canada après celui des régions non métropolitaines de l’Atlantique (53,2 %).

Autre impact : il y aura seulement 1,6 personne active par personne inactive en 2036 dans ces régions non métropolitaines du Québec, contre 2,6 aujourd’hui. Pendant ce temps, à Montréal, ce ratio sera de 3,3 en 2036, contre 4,2 aujourd’hui.

Le défi des régions pour attirer de la main-d’œuvre et des immigrés est donc très grand. « Les enjeux liés à la main-d’œuvre sont appelés à devenir au Canada de plus en plus régionaux », écrit Laurent Martel, selon qui ces projections se traduiront par des pénuries de main-d’œuvre régionales et sectorielles et vraisemblablement par des carences de services publics à certaines populations.

C’est dire à quel point les stratégies du gouvernement caquiste pour combler les besoins en région par de jeunes immigrants bien formés sont cruciales…

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