Portrait  Patrice Bernier

Les adieux du capitaine

Après une carrière de 18 ans, dont la moitié avec l’Impact, Patrice Bernier fera ses adieux au monde professionnel, demain après-midi, face au Revolution de la Nouvelle-Angleterre. Le Brossardois de 38 ans, capitaine de l’équipe depuis 2014, ne manque pas d’idées pour le nouveau chapitre de sa vie.

Un dossier de Pascal Milano

Portrait  Patrice Bernier

« Le foot m’a permis de voir le monde »

Pour une dernière fois, demain matin, Patrice Bernier sera incapable de rester oisif, à quelques heures du coup d’envoi d’un match.

Il descendra dans son sous-sol, prendra un ballon et effectuera un échauffement que sa conjointe, Mélisa, a souvent jugé trop poussé. En début d’après-midi, il prendra le chemin du stade Saputo, entrera dans le vestiaire, enfilera son maillot et enroulera, pour la dernière fois, le brassard de capitaine autour de son bras gauche. Il mènera ensuite ses coéquipiers face au Revolution de la Nouvelle-Angleterre et communiera, une dernière fois, avec le public montréalais. Il le fera avec émotion, certes, mais en étant certain que la décision de tourner la page sur sa carrière professionnelle est la bonne.

« Le fait de l’avoir annoncé tôt m’a permis de le réaliser depuis quelque temps même si je savais qu’en approchant du dernier match, ce serait un petit peu plus difficile », a-t-il reconnu lors d’une entrevue avec La Presse.

« Ces dernières semaines, j’ai plus ou moins eu ce sentiment de me dire : O.K., voilà ce qui s’est passé avant, voilà pourquoi tu es ici et voilà pourquoi tu joues ton dernier match. »

— Patrice Bernier

En se replongeant dans ses souvenirs professionnels, il s’est d’abord rappelé son premier déracinement culturel, en Norvège, où il a dû s’adapter à une nouvelle langue et à une nouvelle culture.

Il s’est ensuite souvenu de l’efficacité allemande, à Kaiserslautern, avec cette valorisation de l’effort, voire du sacrifice. Mais, en fin de compte, il sait surtout que le ballon rond lui a tout donné : une bonne situation financière, évidemment, mais aussi un enrichissement culturel au gré de ses escales.

« Le foot m’a permis de voir le monde et de ne pas rester un p’tit gars de Montréal qui joue dans sa cour et qui voit le sport à travers la télé. Dès l’âge de 13 ou 14 ans, j’ai vu l’Amérique du Sud, l’Amérique centrale ou Madagascar. Plus tard en Europe, j’ai joué un match à Istanbul, j’ai vu les grandes villes et j’ai compris ce qu’est vraiment la culture du foot.

« Grâce au foot, j’ai une appréciation de tout et c’est pour ça que, dans le vestiaire de l’Impact, c’était facile de comprendre les étrangers. J’étais comme eux, moi aussi. »

Justement, l’Impact est un gros pan de sa carrière aux deux extrémités d’une parenthèse de neuf saisons en Europe. En 2000, le jeune rêveur qu’il était a démarré son aventure en disputant 27 des 28 matchs de saison régulière en A-League. Douze ans plus tard, pour son retour, il s’était mué en un joueur international, en un milieu de terrain expérimenté, mais surtout en un ambassadeur hors pair pour le club désormais en MLS.

Son rêve ultime de soulever la Coupe ne s’est pas accompli, mais il a contribué, par ses performances et sa disponibilité, au développement du soccer dans la province.

« Depuis 2012, on a le Centre Nutrilait et des installations qui nous permettent de rivaliser avec n’importe qui dans la ligue. On a été aux portes de la finale et on a vu des joueurs incroyables. Quand [Marco] Di Vaio et [Alessandro] Nesta sont arrivés, je me disais qu’on n’allait jamais en revoir de la sorte. Puis, Didier Drogba tombe du ciel alors que Nacho Piatti est l’un des meilleurs de la ligue », raconte-t-il.

« Aujourd’hui, je vois les gens avec le maillot, les foulards, la casquette. Je connais des gens qui, au bureau, parlent maintenant de l’Impact comme ils parlent du Canadien. Ce n’est pas mission accomplie parce qu’il reste beaucoup de chemin à faire, mais on est beaucoup plus présents dans les cœurs. »

***

Lundi matin, Bernier ne sera plus un joueur de soccer professionnel. Il n’y aura plus de prochain match ni de prochain entraînement ou de prochaine saison. La routine bien huilée qui était la sienne depuis près de deux décennies laissera sa place à un calendrier fort différent.

Si le soccer, comme le sport en général, donne beaucoup à ses acteurs principaux, il prend aussi énormément en échange. Les sacrifices en tout genre et les absences ont rythmé la vie professionnelle de Bernier, qui a maintenant l’occasion de rattraper le temps perdu.

« Avec le foot, j’ai raté des mariages, des fêtes, des anniversaires de mariage. Maintenant, je vais pouvoir passer du temps avec ma famille, les fins de semaine, sans avoir quelque chose de promotionnel ou autre à faire. »

— Patrice Bernier

« Aller au chalet ou faire du ski, avant, je n’y pensais même pas parce que ce n’était pas possible dans mon agenda. Aussi, j’ai vécu du foot, mais je n’ai jamais pu en regarder réellement et profiter de l’ambiance dans un stade. Déjà, avec des amis, on parle d’aller voir le Clasico [FC Barcelone-Real Madrid] au mois de mai. »

Ce n’est peut-être pas après-demain ou le mois prochain que la réalité va le frapper. Il aura certainement des fourmis dans les jambes, au mois de janvier, quand le camp s’amorcera pour une septième fois dans la MLS et une première fois sans lui.

Assis dans un siège du Stade olympique lorsque l’Impact lancera sa saison locale, au mois de mars, il s’ennuiera forcément de l’esprit de camaraderie qui règne dans un vestiaire. « Il y aura d’autres choses pour me changer les idées, mais peut-être que, là, je vais me demander ce qui se passe ou comment va le groupe. Je vais peut-être davantage réaliser que je suis déconnecté de la réalité qui a été la mienne tous les jours, ici. »

***

Certains joueurs ont choisi le soccer simplement parce qu’ils avaient un talent et une certaine prédisposition. Pour Bernier, le soccer est une obsession initialement transmise par ses parents, qu’il a alimentée par le truchement de bandes VHS contenant les grands matchs du Brésil.

S’il quitte les terrains comme joueur, il lui était donc impensable de ne plus baigner dans cet environnement au quotidien. La transition vers un rôle d’entraîneur était toute naturelle pour le Brossardois, toujours pertinent dans ses analyses d’après-match. Il s’est déjà renseigné pour aller observer quelques entraînements du FC Bologne. Il aimerait aussi se rendre à Nordsjælland, son dernier club avant l’Impact, pour retrouver un style qui lui convenait particulièrement.

Si Bernier ne souffre pas du syndrome de la page blanche, dans son après-carrière, il plonge tout de même dans l’inconnu en intégrant le personnel de l’Académie. Aux côtés de Philippe Eullaffroy, il découvrira une fonction qui, outre les aspects tactiques, comprend la gestion des egos et l’importance de livrer un message clair.

« Je connais le foot, mais je ne connais pas ce métier même si je sais, par expérience, comment un entraîneur pense. »

— Patrice Bernier

« Je crois que je serais exigeant parce que je l’ai toujours été avec moi-même. Au niveau du style de jeu, je veux un foot propre, court, au sol et avec de la possession verticale. Mais le sport évolue et je sais qu’il n’y a pas qu’une seule recette gagnante », convient-il avant d’énumérer certains de ses modèles croisés à l’Impact.

« De Bob Lilley, je vais retenir son sens tactique qui m’a ensuite beaucoup aidé lors de mon arrivée en Europe. J’apprécie le côté motivateur de [Marco] Schällibaum qui aimait bien les mots et qui était charismatique. Jesse Marsch travaillait fort et était méthodique. Mauro [Biello] a une approche analytique et j’ai beaucoup appris en jasant avec lui. J’ai vu que beaucoup de choses se passaient dans la tête d’un entraîneur et que ce n’était pas seulement relié au terrain. »

***

Pour une dernière fois, demain soir, le capitaine Bernier répondra aux questions des journalistes devant son casier situé dans l’un des coins du vestiaire. Certainement ému par une journée si particulière, il retournera ensuite du côté de la Rive-Sud afin de retrouver les siens. Un nouveau chapitre, différent, mais tout aussi intéressant, peut alors commencer.

Un dernier hommage

L’Impact rendra hommage à son capitaine dans le cadre d’une cérémonie qui se déroulera sur le terrain, avant le match face au Revolution (16h). Les enfants qui accompagnent les joueurs lors de l’entrée sur le terrain arboreront également un t-shirt floqué du numéro 8 de Bernier. Finalement, le milieu de terrain fera un tour d’honneur après le coup de sifflet final.

— Pascal Milano, La Presse

Portrait  Patrice Bernier

En rafale

Le meilleur moment de sa carrière

« Avec l’Impact, c’est sûrement le match contre le Toronto FC lors des séries de 2015. Il y a aussi le match des Étoiles en 2013 et quand j’ai gagné le titre de joueur par excellence chez l’Impact, l’année précédente. »

Le pire moment de sa carrière

« C’est quand j’ai dû regarder la plus grande partie de la finale de la Ligue des champions depuis le banc, en 2015. »

S’il pouvait changer quelque chose

« Ce serait de jouer ce match dès le début. Je suis entré en jeu en deuxième mi-temps, mais c’était trop tard [3 à 1 quand il a remplacé Calum Mallace]. »

Le meilleur joueur avec lequel il a joué

« D’un point de vue canadien, j’ai adoré jouer avec Atiba Hutchinson et Julian de Guzman. De Guzman, quand il sortait du Deportivo La Corogne, a évolué à un niveau qui était une coche au-dessus. Il était probablement le meilleur milieu dans la CONCACAF. »

Le meilleur joueur qu’il a affronté

« J’ai joué contre Cristiano Ronaldo, mais il n’était pas encore le Ronaldo de maintenant. [En 2005], Deco, alors avec le Barça, traversait les meilleurs moments de sa carrière et c’était impossible de lui prendre le ballon. Je n’arrivais même pas proche de lui, il avait toujours un pas en avant. »

S’il ne devait conserver qu’un seul maillot

« [Il hésite]… Thierry Henry ! »

Portrait  Patrice Bernier

Patrice Bernier de A à Z

Demain après-midi au stade Saputo, Patrice Bernier mettra un terme à une carrière professionnelle entreprise il y a 18 ans. En voici les moments marquants de A à Z.

A comme Avenir

Le chemin est tout tracé pour Bernier qui rejoindra maintenant l’Académie de l’Impact pour y apprendre les rudiments du métier d’entraîneur.

B comme Buts

Ce n’était pas son rôle, mais Bernier a inscrit 14 buts en 6 saisons en MLS, la majorité sur penalty. Impossible également d’oublier ses deux buts marqués lors des séries de 2015.

C comme Capitaine

Nommé capitaine en février 2014, Bernier a assumé son rôle avec sérieux et passion. Avec les années, il a pris de plus en plus d’assurance dans ses discours d’avant-match.

D comme Dix mille minutes

Avec Hassoun Camara, le numéro 8 est l’un des deux joueurs de l’Impact, version MLS, à avoir atteint le plateau des 10 000 minutes de jeu.

E comme Europe

Avant de retrouver l’Impact en 2012, Bernier a passé neuf saisons sur le Vieux Continent, en Norvège, en Allemagne et, finalement, au Danemark.

F comme Famille

Père de trois enfants, il n’aura plus à composer avec les longues absences lors du camp d’entraînement et avec les nombreux déplacements.

G comme Galatasaray

Parmi les moments marquants de sa carrière, la qualification de Tromso face au géant turc de Galatasaray, en Coupe d’Europe, figure en haut de la liste.

H comme Hommage

L’Impact lui rendra hommage, demain après-midi, lors d’une cérémonie avant le match. Il effectuera aussi un tour d’honneur au terme des 90 minutes.

I comme Instagram

Très actif sur les réseaux sociaux, le milieu de terrain n’hésite pas à publier des photos de sa famille, des images d’archives ou des clichés de ses apparitions publiques.

J comme Joueur par excellence

Visage de l’Impact depuis le premier jour en MLS, il a notamment obtenu le titre de joueur par excellence lors de la saison inaugurale, en 2012.

K comme Klopas

La saison 2015 a été pénible pour le capitaine alors que Frank Klopas lui a très souvent préféré Nigel Reo-Coker ou Calum Mallace. Mauvaise pioche…

L comme Ligue des champions

Bernier a disputé neuf matchs de la Ligue des Champions de la CONCACAF, dont trois comme titulaire. Il est entré en jeu lors des deux matchs de la finale, en 2015.

M comme Maillots

Au fil de sa carrière, il a conservé plusieurs maillots significatifs, autant les siens que ceux de ses adversaires. Que fera-t-il de celui qu’il portera aujourd’hui pour la dernière fois ?

N comme Notoriété

Dans les dernières années, le Brossardois a acquis une notoriété dépassant le simple cadre du ballon rond. Il est également l’ambassadeur de plusieurs organismes.

O comme Origine

Il n’a jamais mis les pieds en Haïti, le pays de ses parents, mais il a souvent donné un coup de main à la communauté. Il s’est notamment mobilisé pour la Maison d’Haïti.

P comme Passionné

Admirateur des grandes années du Brésil et du FC Barcelone, Bernier est, depuis toujours, un mordu de soccer. Sa famille et sa belle-famille partagent cet intérêt.

Q comme 4-2-3-1 et 4-3-3

Peu importe le système, Bernier a joué à toutes les positions du milieu de terrain en fonction des entraîneurs : seul devant la défense, en numéro 8 et même en meneur de jeu.

R comme Regrets

Ne cherchons pas plus loin le grand regret de sa carrière : ne pas avoir remporté la Coupe MLS, chez lui, avec l’Impact.

S comme Sélections

Membre des équipes U17, U20 et U23, Bernier a ensuite amassé 56 sélections, dont 38 titularisations, avec l’équipe canadienne senior.

T comme Toronto

Les matchs contre l’archi-rival torontois ont débouché sur des fortunes diverses pour Bernier. Parmi les autres rivalités en MLS, il cite souvent Houston et Kansas City.

U comme Université

Avant de se rendre en Europe, Bernier a passé deux années à l’université de Syracuse, en 1998 et 1999, où il a été choisi au sein des équipes All-Rookie et All-Conference.

V comme Val-d’Or

Bernier a disputé deux saisons dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec en tant que défenseur. Après une centaine de matchs à Val-d’Or, il a été échangé aux Faucons de Sherbrooke.

W comme Weah

Sur Facebook, Bernier a récemment rappelé que son parcours avait démarré dans les parcs publics de Brossard. Ses idoles ? Romario, Ronaldo, Roberto Baggio et George Weah.

X comme X

Pas de petit x à côté de l’Impact, cette année, au classement. Bernier raccroche donc ses crampons sans la joie d’une participation aux séries éliminatoires, un scénario déjà vécu en 2012 et 2014.

Y comme YouTube

Pour revoir ses grands moments, ses buts, ses passes décisives, ses interviews et même des brèves séquences de son séjour au Danemark, rien ne vaut un passage par YouTube.

Z comme Zambrano

Grâce à Octavio Zambrano qui l’a érigé comme mentor auprès des jeunes, Bernier a pu faire un dernier tour de piste avec la sélection canadienne lors de la Gold Cup 2017.

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Une carrière sous la loupe

Patrice Bernier : 1,75 m, 81 kg

Numéro : 8

Âge : 38 ans

150 matchs avec l’Impact en saison

8 matchs de séries

10 686 minutes de jeu (saison et séries)

14 buts et 28 passes décisives en MLS

3 participations aux séries

2 victoires en championnat canadien

73 matchs avec l’Impact en deuxième division

56 sélections avec l’équipe canadienne

9 saisons en Europe

2 Coupes du Danemark en 2010 et 2011

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