Opinion Claude Francœur

Les mentalités doivent changer

Depuis le 1er janvier 2015, la grande majorité des entreprises cotées en Bourse au Canada doivent rendre compte des politiques qu’elles ont adoptées en matière de représentation féminine au sein de leurs conseils d’administration et de leurs équipes de haute direction. Or, un récent rapport de l’Autorité des marchés financiers du Québec démontre que seulement 35 % des 660 firmes investiguées ont mis en œuvre une politique dans ce sens et qu’une infime partie seulement – 11% pour les conseils d'administration et 3 % pour la haute direction – se sont donné des cibles concrètes1.

Le frein principal

Pour justifier leur réticence à s’adjoindre un plus grand nombre de femmes à des postes stratégiques, la grande majorité des entreprises font valoir que les nouveaux candidats sont nommés en fonction de leur mérite. Or, que ce soit de bonne foi ou non, le manque d’audace de ces sociétés contribue à maintenir un statu quo inacceptable par rapport aux multiples défis financiers, sociaux et environnementaux qu’elles ont à relever et, surtout, compte tenu du bassin de compétences largement inexploité que représente la gent féminine.

En principe, les systèmes fondés sur le mérite visent à éviter les biais de sélection ; toutefois, plusieurs études font état d’un effet diamétralement opposé.

Plutôt que de véritablement recruter les meilleurs candidats, les organisations qui entretiennent prétendument une culture de méritocratie ont surtout tendance à privilégier des personnes issues de leur réseau. Et ce réseau est, comme par hasard, très majoritairement composé d’hommes.

Dans une étude menée en 20172, les chercheurs ont démontré une forte tendance à remplacer les administrateurs masculins par des candidats masculins ; on observerait le même comportement chez les femmes. Ce phénomène serait attribuable à la « rationalité limitée » des recruteurs, qui les amène à se rabattre sur leur intuition pour choisir les candidats plutôt que d’évaluer et de pondérer correctement l’ensemble des facteurs déclinés dans leurs grilles de sélection.

La résistance au changement

Le tableau suivant, tiré du rapport de l’AMF cité précédemment, montre à quel point le plafond de verre est encore très solide dans les grandes entreprises du pays.

Changeons nos mentalités

Que faire alors pour briser ce plafond de verre ? Une récente étude de la chaire de gouvernance Stephen-A.-Jarislowsky révèle qu’il n’est malheureusement pas suffisant que les femmes soient aussi instruites que les hommes et que des lois et des règlements soient adoptés pour favoriser leur nomination aux hautes instances des entreprises. Il faut également, et surtout, que la mentalité des hommes change.

Comme les hommes ont traditionnellement eu plus de poids dans les décisions qui favorisent l’ascension aux échelons supérieurs des entreprises, ils demeurent les maîtres de ces réseaux.

Pour que les choses changent, les hommes doivent d’abord prendre conscience de cette réalité et favoriser l’accès des femmes dans leurs cercles afin que ceux-ci deviennent plus hétérogènes et plus propices au développement professionnel de leaders féminins.

Pour changer la culture et les mentalités, toutes les parties prenantes doivent s’atteler à la tâche. Des programmes doivent être implantés pour éduquer nos enfants en ce sens dès l’école primaire. Les médias doivent également valoriser la contribution des femmes et chercher à éliminer les biais dans leur façon de présenter celles qui ont accédé à des postes de pouvoir. Finalement, les entreprises doivent adopter des mesures efficaces pour éliminer les biais négatifs envers les femmes.

Il reste encore bien du chemin à faire pour éliminer les fausses perceptions et enrayer les préjugés qui discriminent les femmes en affaires. Mais le jeu en vaut la chandelle : la firme McKinsey évalue notamment le potentiel de croissance de l’économie canadienne lié à l’égalité des hommes et des femmes sur le marché du travail à quelque 150 milliards de dollars d’ici 2026 !

1 Examen du personnel sur les femmes aux postes d’administrateurs et de membres de la haute direction, Autorité des marchés financiers du Québec, 5 octobre 2017.

2 Tinsley, C. H., Wade, J. B., Main, B. G., et O’Reilly, C. A., « Gender Diversity on US Corporate Boards – Are We Running in Place? », ILR Review, vol. 70, n° 1, janvier 2017, p. 160-189.

* Cet article est écrit en collaboration avec Liette D’Amours, rédactrice-journaliste. Ce texte est un condensé d’un article paru dans la revue Gestion, volume 43 no 1, printemps 2018, pp. 96-99.

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