Selon les experts du Forum économique mondial réunis à Davos en janvier dernier, la robotique et l’intelligence artificielle deviendront les moteurs de la quatrième révolution industrielle. Une révolution qui redéfinira les activités agricoles et industrielles, le secteur manufacturier, la vente au détail, le domaine de la santé et la domotique. Entre autres.
Seul hic : selon ces experts, cette révolution entraînera d’ici les cinq prochaines années la suppression de cinq millions d’emplois – malgré la création d’environ 2 millions de « nouveaux » emplois. Un scénario catastrophe que certains économistes contestent cependant ou tentent de mettre en perspective.
N’empêche. L’institut canadien Brookfield estime que 46 % des emplois au Canada ont un potentiel d’automatisation. D’où l’importance de préparer les jeunes à ce transfert de compétences, nous dit Gabriel Bran Lopez, fondateur de Robotique First, qui est présent dans environ 150 écoles primaires et secondaires du Québec et qui organise chaque année une compétition de robotique.
« Le futur de l’éducation repose sur ces compétences transférables. Les gouvernements, les systèmes d’éducation, tout le monde se pose la question : quelles sont les compétences du XXIe siècle ? »
— Gabriel Bran Lopez, fondateur de Robotique First
« Comment va-t-on préparer les élèves, en particulier les autochtones, les jeunes immigrants ou les groupes sous-représentés au marché du travail en sachant que plusieurs emplois d’aujourd’hui n’existeront pas demain ? », ajoute-t-il.
Dans un rapport sur l’emploi en Colombie-Britannique publié l’an dernier, l’organisme Labour Market Solutions abonde dans ce sens, estimant que près de la moitié des emplois pourraient s’automatiser ou se faire en collaboration avec des robots. Parmi les professions menacées, on retrouve entre autres les vendeurs en magasin (650 000 emplois au Canada) et les caissiers (309 000 emplois).
Dans ce contexte, les leaders de la vente au détail ne sont pas très loquaces…
La Compagnie de la Baie d’Hudson, par exemple, n’a pas voulu commenter ces changements en cours, préférant s’en tenir à de grands principes : « Nous croyons qu’il faut combiner le pouvoir des gens à celui de la technologie pour bien servir notre clientèle », indique une porte-parole de l’entreprise. Combien d’emplois seront automatisés ? Comment La Baie d’Hudson s’adapte-t-elle à cette nouvelle réalité ? « Nous sommes déterminés à livrer une expérience de shopping exceptionnelle », nous répond-on.
Votre métier est-il à risque ?
L’Université d’Oxford et la firme Deloitte ont conçu récemment une application pour déterminer le risque de disparition de 365 emplois traditionnels. En un clic, vous verrez le risque d’automatisation de votre emploi. Les journalistes, par exemple, courent 8 % de risque de voir leur métier se robotiser.
En revanche, les représentants de vente, les techniciens de laboratoire et les caissiers ont 90 % de risque de voir leur job disparaître. Les créateurs de cette application estiment que 35 % des emplois actuels (en Angleterre) risquent d’être automatisés. Une liste des jobs les plus et les moins à risque a été dressée.
DES EMPLOIS PLUS INTÉRESSANTS ?
Margarida Romero, professeure en technologie éducative à l’Université Laval, à Québec, envisage ce virage de façon positive, estimant que cette révolution risque de rendre les emplois plus intéressants.
« Je crois que les emplois qui vont disparaître sont les moins intéressants et les plus routiniers. La cueillette des fruits est un bon exemple. Pourquoi exploiter des gens à cueillir des fraises sous le soleil quand on peut le faire avec un robot ? »
— Margarida Romero, professeure en technologie éducative à l’Université Laval
« Moi, je pense que ça peut créer des emplois qui seront plus intéressants, poursuit-elle. Tout dépend des politiques qui seront mises en place pour mettre en valeur l’humain. »
Dans son livre intitulé Usages créatifs du numérique pour l’apprentissage au XXIe siècle, la chercheuse indique que les emplois requérant une plus-value humaine, par exemple dans les domaines de l’ingénierie, la créativité artistique, l’éducation, la psychologie ou l’éthique et la justice, ne sont pas en péril. « Parce qu’il y a des domaines où les humains ont besoin des humains » et où « la pensée critique » est nécessaire.
À Polytechnique, le directeur du département de génie mécanique, Luc Baron, estime de son côté que le nombre d’emplois de techniciens va nécessairement augmenter pour faire fonctionner tous ces systèmes automatisés imaginés par des équipes d’ingénieurs. Pour leur conception, mais aussi pour leur entretien. « On n’a qu’à penser au centre de distribution d’Amazon ou aux véhicules automatisés du nouveau CHUM. »
La robotique collaborative
Le directeur du programme de génie robotique à l’Université de Sherbrooke, François Michaud, croit qu’en fin de compte, le plus grand défi à venir est la cohabitation entre humains et robots.
« À l’heure actuelle, la majorité des robots sont dans des cages – où les humains ne se trouvent pas pour des raisons de sécurité, explique-t-il. Dès qu’ils touchent des humains, ils arrêtent de fonctionner. Mais il y a de plus en plus d’applications et de robots capables d’opérer à proximité des humains. C’est ce qu’on appelle la robotique collaborative. Au Québec, trois universités se sont associées pour concevoir un programme de formation dans le secteur manufacturier. »
Les chaînes de montage flexibles, avec des interventions ciblées qu’on peut reprogrammer soi-même facilement, voilà la voie de l’avenir, croit François Michaud. Les robots sont appelés à travailler avec les humains. La difficulté, c’est qu’il faut faire un compromis sur la précision. Parce qu’il faut pouvoir interagir avec eux et peut-être réduire leur puissance. Par contre, dans les salles d’opération, les bras robotisés sont de plus en plus précis. »
Doit-on s’attendre à de nombreuses pertes d’emplois avec l’essor de la robotique ?
François Michaud fait un parallèle avec l’arrivée des ordinateurs. « Les bibliothécaires étaient sûrs de perdre leur emploi, mais dans les faits, le nombre d’employés a augmenté. Les robots, il faut les voir comme une extension de l’humain. Ils nous permettent d’en faire plus. La nature des emplois va changer, c’est sûr, mais l’intervention humaine est encore nécessaire dans de nombreux secteurs. Globalement, je crois que ça va créer des emplois ailleurs et que ça va maintenir la productivité et la rentabilité des entreprises. »