Commission nationale des valeurs mobilières

Ottawa cite… Parizeau !

OTTAWA — Pour convaincre les tribunaux d’autoriser la création d’une commission nationale des valeurs mobilières, le gouvernement Trudeau s’appuiera notamment sur les écrits de… Jacques Parizeau !

Dans son cahier de preuve déposé à la Cour d’appel du Québec, le gouvernement fédéral cite notamment le rapport Parizeau sur les institutions financières, rédigé en juin 1969 par M. Parizeau alors qu’il était professeur aux HEC et consultant pour le gouvernement du Québec. Le comité d’étude présidé par M. Parizeau s’était posé la question à savoir si la réglementation des valeurs mobilières devait être assurée par le fédéral ou les provinces.

« Il ne semble pas facile de trancher cette question d’un point de vue constitutionnel », avait écrit M. Parizeau.

« Les valeurs mobilières peuvent être invoquées comme un champ de compétence provinciale en vertu des dispositions relatives à la propriété, mais pourraient tout aussi bien relever de la compétence fédérale en vertu des dispositions qui régissent le commerce interprovincial et international »

— Extrait du rapport Parizeau, qui avait été commandé en 1969 par le gouvernement de l’Union nationale.

En 2010, alors que le gouvernement Harper tentait de créer une commission des valeurs mobilières, Jacques Parizeau s’était opposé à sa création et avait salué la réaction du milieu des affaires québécois d’y résister.

Après un premier revers en Cour suprême du Canada en 2011, le gouvernement Harper a tenté à nouveau sa chance en proposant un « régime coopératif » auquel cinq provinces et le gouvernement fédéral ont adhéré. Selon la proposition d’Ottawa, un organisme pancanadien régirait une nouvelle loi fédérale sur la stabilité des capitaux, en plus des lois provinciales dans les provinces participantes qui devront être uniformes.

Le Québec conteste cette nouvelle proposition et tente de la faire déclarer inconstitutionnelle par les tribunaux (Québec a fait un renvoi en Cour d’appel). Le rapport Parizeau est l’un des 33 documents déposés par Ottawa dans son cahier de preuve à la Cour d’appel du Québec (le gouvernement fédéral doit déposer son mémoire en juillet).

Même en rejetant la première version du projet de commission nationale proposée par le gouvernement Harper, le plus haut tribunal du pays a reconnu à Ottawa un certain rôle dans la gestion des risques systémiques et la stabilité des milieux financiers.

Dans son rapport en 1969, Jacques Parizeau reconnaissait que la stabilité des milieux financiers était justement un « inconvénient grave » à un système d’autorités provinciales en valeurs mobilières.

« En outre – et cela est beaucoup plus grave –, le contrôle de la fraude et d’une façon générale tout le système d’enquête est difficile à établir d’une façon cohérente pour l’ensemble des marchés financiers », écrit M. Parizeau.

La Commission des valeurs mobilières du Québec, l’ancêtre de l’Autorité des marchés financiers (AMF), a été créée en 1955. Dans son rapport en 1969, Jacques Parizeau évalue deux scénarios probables à l’époque : la création d’une commission canadienne des valeurs mobilières et la proposition de l’Ontario de créer un organisme intergouvernemental (siège social à Toronto, bureaux régionaux à Montréal et dans une ville de l’ouest du pays) constitué en vertu d’une loi fédérale, mais dont le fédéral n’aurait pas la majorité des voix. Le rapport Parizeau « recommande donc que des négociations soient amorcées » avec l’Ontario et d’autres gouvernements au pays pour « déterminer à quelles conditions on pourrait établir un organisme intergouvernemental ».

UN « SUBTERFUGE », SELON QUÉBEC

Le gouvernement du Québec, qui conteste la constitutionnalité du projet fédéral de commission nationale des valeurs mobilières, estime que le projet endossé par le gouvernement Trudeau est un « subterfuge visant à contourner » la décision de la Cour suprême en 2011.

« La pièce maîtresse de ce subterfuge est la tentative de scinder le domaine des valeurs mobilières en deux volets, un volet “quotidien” [day-to-day] qui relèverait de la compétence des provinces et un volet “systémique” qui relèverait de la compétence fédérale […]. Cette scission, qui est à la base du régime prévu par le protocole d’accord, est entièrement dépourvue de fondement », écrit Québec dans son mémoire en Cour d’appel. Québec fait valoir que la Cour suprême a plutôt conclu en 2011 que le fédéral peut légiférer en matière de valeurs mobilières « dans les cas où les provinces sont incapables d’adopter une telle réglementation », ce qui n’est pas le cas actuellement, selon Québec.

Québec soulève aussi un autre argument constitutionnel : comme les provinces devront avoir des lois uniformes, elles « renoncent en pratique » à leurs pouvoirs législatifs dans un domaine de compétence provinciale en octroyant ces pouvoirs à l’ensemble des provinces.

Ottawa, qui estime que son projet de loi respecte le droit constitutionnel, déposera son mémoire à la Cour d’appel en juillet. « La Cour suprême du Canada a conclu que le Parlement [fédéral] avait un rôle à jouer dans la gestion des risques systémiques sur les marchés des capitaux du pays et dans la collecte de données à l’échelle nationale. Nous nous acquittons de cette responsabilité dans un esprit collaborateur, et dans le tout respect des compétences provinciales et territoriales ainsi que du choix des provinces comme le Québec qui choisissent de ne pas participer. En fait, l’ébauche révisée du projet de loi facilite la collaboration entre les provinces qui choisiraient de ne pas participer au régime coopératif et l’Autorité de réglementation », a indiqué le directeur des communications du ministre fédéral des Finances Bill Morneau, Daniel Lauzon, par courriel.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.