OPINION SALAIRE MINIMUM À 15 $ L’HEURE

Oui !

En lançant publiquement le débat sur le salaire minimum, nous étions profondément convaincus de deux choses.

D’abord, il est inconcevable qu’en 2016, des hommes et des femmes travaillant à temps plein n’arrivent pas à se sortir de la pauvreté. Ensuite, nous jugions qu’il était grand temps de susciter un réel débat, le plus large possible, sur le rattrapage salarial nécessaire pour permettre aux bas salariés de sortir la tête de l’eau.

Bonne nouvelle : le débat est lancé ! Les associations patronales reconnaissent du bout des lèvres qu’il y a un problème. Mais elles prétendent que ce n’est pas la meilleure façon d’améliorer le niveau de vie des bas salariés. Elles pointent plutôt les programmes sociaux et la fiscalité. Elles proposent, notamment, de hausser le seuil d’exemption personnelle de base. Voilà qui est étonnant : ce débat les place dans le rôle des demandeurs de programmes sociaux et de subventions indirectes ! Non, vraiment, il ne faut pas que l’ensemble des contribuables se trouve à compenser les mauvaises politiques salariales des entreprises.

Rappelons qu’en dollars constants, le salaire minimum de 2016 équivaut à celui de la fin des années 70. Pourquoi est-ce une injustice ? Parce que durant la même période, la richesse collective de notre société a plus que doublé (PIB en dollars constants).

Évidemment, passer de 10,75 à 15 $ l’heure représente une importante hausse de 40 %, mais c’est un rattrapage nécessaire que nous proposons d’étaler sur quelques années pour en amoindrir l’impact sur les plus petits employeurs.

Parlant de hausse salariale, depuis la fin des années 90, le revenu moyen des Canadiens a augmenté d’environ 8 %, tandis que celui des grands chefs d’entreprise faisait un bond spectaculaire de 89 %. Qui s’en inquiète à la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) ? Ces salaires indécents ont pourtant un impact négatif sur toute la chaîne de valeur des produits et services.

Le Québec a connu un rattrapage salarial important pour les bas salariés : il y a eu trois hausses successives du salaire minimum de 0,50 $ en 2008, 2009 et 2010. À l’époque, le lobby des employeurs a entonné le refrain de la catastrophe économique et des pertes d’emplois. Pourtant, selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), rien de tel ne s’est produit : pas de vague de pertes d’emplois ni de pertes de nombre d’heures travaillées. Rien de tel non plus dans les villes et États américains qui ont adopté d’importantes hausses du salaire minimum.

Augmenter le salaire minimum aura un impact positif sur la demande dans nos économies locales et régionales. Chaque dollar de hausse est rapidement mis en circulation dans nos épiceries et nos services : où voulez-vous qu’une personne au salaire minimum dépense son argent ? Certainement pas dans des placements à la Barbade…

Cette lutte, rappelons-le, a d’abord une visée sociale parce que des avancées dans ce domaine contribueront à rehausser le pouvoir d’achat et la qualité de vie des moins fortunés.

Elle est actuellement menée par plusieurs groupes au Québec, parce qu’ici comme ailleurs, les inégalités persistent et hausser le salaire minimum à 15 $ est un moyen efficace et réaliste de lutter contre celles-ci.

Nous invitons d’ailleurs la population à venir en grand nombre à la manifestation d’aujourd’hui à Montréal afin d’appuyer cette lutte.

OPINION SALAIRE MINIMUM À 15 $ L’HEURE

Une fausse bonne idée

S’il y a une chose qui rallie les grands acteurs sociaux, c’est l’idée qu’il est essentiel dans notre société de lutter contre la pauvreté. Et nous en sommes ! Toutefois, depuis un certain temps, la question du salaire minimum à 15 $ l’heure est présentée comme la panacée en la matière.

Or, lorsqu’on examine cette proposition de plus près, on constate rapidement qu’il s’agit là d’une fausse bonne idée, et ce, notamment pour trois raisons.

Premièrement, cette campagne est désincarnée de la réalité québécoise.

Il faut en effet rappeler qu’elle prend son ancrage chez nos voisins du sud, où le mouvement pour un salaire minimum à 15 $ l’heure a débuté à la suite d’un gel de ce dernier pendant presque une décennie. Or, la situation est très différente au Québec : entre 2006 et 2016, pendant que le salaire horaire moyen augmentait de 30 %, le salaire minimum a pour sa part connu une croissance de 40 %.

Ainsi, actuellement, notre salaire minimum se situe à un niveau d’équilibre, soit en deçà de 50 % du salaire horaire moyen. En effet, plusieurs économistes réputés, dont Pierre Fortin, l’ont affirmé : lorsque le salaire minimum dépasse 50 % du salaire horaire moyen, cela engendre des effets contraires à ceux recherchés, car on crée du chômage, notamment chez les travailleurs au bas de l’échelle et chez les jeunes (qui, rappelons-le, représentent 60 % des travailleurs au salaire minimum). C’est simple : plus la main-d’œuvre coûte cher, moins les employeurs embauchent.

Deuxièmement, dans l’économie québécoise, où 73 % des entreprises ont moins de 10 employés, l’augmentation du salaire minimum à 15 $ l’heure aurait des impacts importants sur ces petites entreprises qui, rappelons-le, dynamisent nos régions.

En augmentant de près de 40 % le salaire de leurs employés moins expérimentés, elles devront, par équité, accorder le même traitement à leurs employés cumulant davantage d’expérience ou de qualifications. Conséquence : elles devront couper quelque part dans les heures de travail, dans les emplois, ou dans les projets d’expansion, en plus d’augmenter leurs prix, minant ainsi leur compétitivité, leur capacité à survivre et l’emploi.

Troisièmement, le salaire minimum n’élimine pas la pauvreté et il existe de meilleurs moyens pour soutenir les travailleurs à faible revenu.

Quand on augmente le salaire minimum, une personne qui travaille à temps plein voit une partie de cette augmentation retourner dans les coffres de l’État par ses impôts et ses cotisations aux différents régimes sociaux (RQAP, RRQ, etc.). C’est donc plutôt du côté du revenu global disponible qu’il faut regarder. C’est d’ailleurs pourquoi l’État, qui a la responsabilité de lutter contre la pauvreté, déploie diverses mesures ciblées telles que des crédits d’impôt, des primes au travail ou des prestations pour enfants, et ce, dans le cadre d’un système fiscal progressif où le taux d’imposition des moins nantis est moindre.

Bonifier ces mesures pour garantir aux familles à faible revenu davantage d’argent dans leurs poches serait donc la vraie bonne idée à la fois pour nos travailleurs, pour nos PME et pour notre économie.

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