Une vingtaine de personnes sont réunies par un après-midi de printemps au Centre Afrika, un organisme qui propose régulièrement des activités d’intégration aux immigrants d’Afrique ou d’ailleurs. Ce jour-là, un atelier de cuisine québécoise a été mis au programme.
Guidés par les animateurs, les participants s’attellent à la préparation des plats. Rapidement, la nostalgie des mets du pays occupe le cœur des conversations. « Moi, c’est l’attiéké qui me manque [un couscous de manioc ivoirien garni de viande et de sauce]. Chez moi, on l’accompagne de bière au bord de la mer », lance un participant en riant.
L’assemblée s’égaye à l’évocation de cette scène familière. Il y a aussi le tô, le bugali, le kebab… renchérissent les autres. Et les insectes.
« Chez nous, on adore les cricris ! Et puis les termites, les larves, les grillons, les criquets… », se délecte une dame en sortant justement de son sac un contenant de chenilles noires sur lequel elle a réussi à mettre la main grâce à des connaissances en visite. L’enthousiasme gagne la tablée alors que les précieuses gourmandises, denrées rares au Québec, passent de main en main.
Ce qui est exotique, aux yeux des participants, ce ne sont pas ces chenilles, mais le menu concocté par la nutritionniste Marianne Lefebvre : courges grillées, poulet à l’érable, pilaf d’orge et fruits compotés en dessert. L’objectif de l’atelier est de faire connaître la cuisine d’ici, explique-t-elle en profitant de l’occasion pour introduire des aliments locaux nutritifs, économiques et faciles à préparer. La fraîcheur est un enjeu indéniable au Québec, convient l’intervenante qui propose des façons de contourner ces contraintes.
Retrouver ses repères
On est loin du foutou, ce mélange de plantain et de manioc dont rêve souvent Mariame Djebre. « J’en parle et j’ai l’eau à la bouche ! », dit-elle alors que son regard s’illumine pour se voiler aussitôt de larmes. « C’est la nostalgie du pays », s’excuse la femme d’origine ivoirienne, qui a demandé l’asile il y a neuf mois pour elle et ses jeunes enfants, âgés de 2 et 6 ans.
Dans son pays, la femme de 42 ans n’avait pas besoin de cuisiner : les repas étaient pris en charge par un employé. Si elle s’en chargeait, c’était par pur plaisir. Ici, le temps et les ressources lui manquent pour cuisiner les plats auxquels elle est habituée.
« Je ne connais pas vos mets québécois, je ne connais pas vos façons de cuisiner. Quand je suis arrivée, j’ai cherché les marchés africains. C’est là que je fais 100 % de mes courses. »
— Mariame Djebre
Elle a bien découvert le brocoli, et ses enfants, le pâté chinois – qu’ils adorent – par la garderie. Mais ce sont les mets de son pays qu’elle cuisine à la maison, et pour lesquels elle se procure les ingrédients nécessaires à des prix qu’elle estime par contre beaucoup trop élevés.
Des aliments « sans saveur »
Cathy Mbuyi, de la République démocratique du Congo (RDC), a demandé l’asile il y a deux ans. Pharmacienne de formation, elle cherche ici à intégrer le marché du travail et songe à entreprendre une autre formation. Le manque de travail est sa plus grande préoccupation.
Son plus grand dépaysement, toutefois, elle l’a eu à l’épicerie. « J’entrais dans les supermarchés et je voyais 40 000 articles. Ici, il y a trop de boîtes. Il y a des sauces de toutes les couleurs, mais qu’est-ce que ça goûte ? » Pour s’y retrouver, elle a dû faire appel à une nutritionniste.
Et puis, il y a eu le choc des saveurs. Les mêmes produits n’ont pas le même goût : la viande, les arachides, les fruits et légumes…
« C’est moins bon. Chez nous, ce n’est pas nécessaire d’assaisonner les courges. Et les bananes n’ont de la banane que le nom et la forme ! C’est difficile. »
— Cathy Mbuyi
On finit cependant par s’adapter, même si ce n’est pas facile, a constaté Jean Marie Mousenga, qui est également arrivé de la RDC avec sa famille, il y a 20 ans, en tant que demandeur d’asile. Le résidant d’Ahuntsic dit trouver aujourd’hui tous les aliments dont il a besoin pour cuisiner dans son quartier. Il s’est aussi mis aux fourneaux, lui qui n’avait pas à le faire dans son pays.
Là-bas, la confection des repas repose sur le clan. « Quand on a un peu de moyens financiers, les gens viennent manger. Le repas est offert. Ici, c’est plus individualiste. On cuisine pour sa petite famille », a-t-il pu constater. Henri Georges Aka s’ennuie également des repas partagés. Dans sa Côte d’Ivoire natale, les repas se mangent en groupe. « Culturellement, tu as toujours l’idée que quelqu’un peut venir manger, indique celui qui a immigré au Québec il y a 20 ans. Ici, il faut appeler pour dire : “J’arrive.” » Mais autrement, déclare-t-il, rien ne lui manque. Si ce n’est le soleil.
Un carrefour alimentaire
« L’hiver, mon dieu, c’est vraiment dur ! relève également Saeideh Ghasemipouya, qui n’avait jamais connu la neige avant d’arriver d’Iran, il y a quatre ans. La première année, j’avais mal en hiver. J’ai pris du poids. » Par inactivité et par gourmandise, avoue-t-elle. Car, après avoir retrouvé les aliments auxquels elle était habituée, elle en a découvert d’autres : le fromage bleu, les pâtes, le pâté chinois, la salade de betteraves…
« Dans mon pays, il y a différentes cultures culinaires, mais à Montréal, on peut découvrir le monde entier dans les marchés. Il y a une grande diversité », observe l’ancienne nutritionniste devenue commis chez Costco, quoique le goût des fruits, des légumes et des mets de son pays lui manquent.
Mais, comme le souligne Lucie Coulibaly, « quand tu arrives dans un pays, c’est pour t’intégrer, que ce soit par la langue ou par la nourriture. Sinon, tu n’y as pas ta place ». Arrivée au Québec dans les années 70, l’immigrée du Burkina Faso a passé sa vie à voyager, et a vécu dans plusieurs pays d’Afrique, en Allemagne, aux États-Unis et en France, avant de revenir vivre ici.
L’alimentation de ses enfants est très différente de l’alimentation traditionnelle qu’elle a connue dans ses tendres années. « J’ai appris à m’adapter », dit la dame de 74 ans, et ces parfums apprivoisés, toutes ces découvertes ont enrichi sa palette de goût. « J’ai appris à manger ce qu’on me présente et je mange de tout », assure-t-elle. À part la poutine !