Gaspésie : La fin de l’ère de l’éolien 

Plus de mille emplois en péril

La politique énergétique du Québec vient de tourner la page sur 15 années de développement éolien, lequel a créé de toutes pièces une industrie qui fait vivre un millier de travailleurs en Gaspésie. Des centaines d’emplois manufacturiers dans cette région risquent de disparaître encore plus rapidement qu’ils ont été créés. Retour sur la stratégie économique qui a fait pousser les éoliennes et les leçons qu’il faut en tirer.

François Arsenault en a vu d’autres. Son entreprise, Fabrication Delta, à New Richmond, faisait 80 % de son chiffre d’affaires annuel avec Mine Gaspé et deux papetières, la Gaspésia et Smurfit-Stone, trois entreprises qui ont disparu. Recyclée dans la construction de tour d’éoliennes, Fabrication Delta voit encore le tapis tiré sous ses pieds avec la décision du gouvernement québécois de ne plus obliger Hydro-Québec à acheter de l’énergie éolienne dont elle n’a pas besoin.

Mais François Arsenault reste optimiste. « Vivre en région, c’est s’ajuster, dit-il. On n’est pas une usine à roulettes, ça fait 30 ans qu’on existe. »

Quelque 1200 emplois sont menacés dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie à la suite de la décision du gouvernement, notamment dans ces « usines à roulettes » construites en Gaspésie pour profiter des contrats d‘Hydro-Québec.

Déjà, les emplois ont commencé à disparaître, à mesure que les carnets de commandes s’amincissent. LM Wind Power, le géant danois qui construit des pales à Gaspé, a prévenu ses 200 employés qu’il n’y aurait plus de travail pour eux au mois de septembre. L’allemande Enercon a commencé à réduire son effectif de Matane et pourrait cesser définitivement la fabrication de tours en béton et de composants électroniques à la fin de l’année.

Fabrication Delta a licencié 60 de ces 100 employés, des soudeurs et des machinistes, qui construisaient des tours d’éoliennes en acier. L’entreprise construit encore des tours pour l’exportation, et elle a trouvé un nouveau filon avec la cimenterie de Port-Daniel.

« LE FEU EST PRIS DANS LA BARAQUE »

Mais ça sent bel et bien la fin pour la jeune industrie éolienne québécoise. Une fin prévisible, selon plusieurs, pour qui obliger des entreprises à investir dans une région qui n’attire pas les investisseurs est une stratégie perdue d’avance.

« On ne peut pas justifier de développer d’autres parcs éoliens quand il y a des surplus énormes et qu’on exporte déjà à la pleine capacité des interconnexions. Ça ne tient pas la route », affirme Luc Boulanger, directeur général de l’Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité.

« C’était écrit dans le ciel », dit et répète publiquement Patrick Pellerin, président de Marmen, qui construit des tours d’éoliennes à Matane et qui a commencé à en exporter aux États-Unis.

« Le feu est pris dans la baraque », constate Frédéric Côté, directeur général du TechnoCentre éolien, une organisation de soutien à l’industrie, qui refuse toutefois de se décourager.

« C’est plus logique de garder cette filière dans notre portefeuille énergétique », assure-t-il.

C’est aussi l’avis de Steven Guilbault, porte-parole d’Équiterre. « Il s’agit pourtant de la forme d’énergie qui a le moins d’impact sur l’environnement et qui revient moins chère qu’un grand barrage, dit-il. Il y a du développement local qui y est associé. Je ne connais pas beaucoup d’autres formes d’énergie qui font ça. »

LA FILIÈRE ÉOLIENNE EN GASPÉSIE

1200 emplois

dont 610 emplois manufacturiers

8 milliards

d’investissements, dont 60 % au Québec

L’industrie éolienne voulait croire que le gouvernement l’appuierait encore, le temps qu’elle perce de nouveaux marchés et le temps que les premiers parcs éoliens, qui ont une durée de vie de 20 à 25 ans, nécessitent une reconstruction.

Québec a dit non. En fait, dans la politique énergétique qu’il vient de rendre publique, le ministre des Ressources naturelles, Pierre Arcand, envoie un message confus à la Gaspésie. « Nous n’avons pas l’intention d’abandonner l’industrie éolienne », soutient-il d’un côté. De l’autre, il annonce qu’Hydro-Québec ne sera plus obligée d’acheter de l’énergie éolienne tant que ses surplus n’auront pas diminué de moitié. Ce qui n’arrivera probablement pas avant 2024, soit trop tard pour les usines gaspésiennes.

« Ce serait dommage de fermer les usines en 2017 et de vouloir les rouvrir en 2021 ou encore d’être obligés d’acheter des pales ailleurs », soupire Dave Lavoie, directeur du Créneau d’excellence éolien.

Depuis des mois, cette organisation fait des pieds et des mains pour trouver de nouveaux marchés pour les entreprises de la filière éolienne québécoise, sans grand succès.

« Le marché de l’Alberta est prometteur, mais il y a des enjeux de transport », explique Dave Lavoie. Aux États-Unis, le secteur éolien est en croissance et Marmen s’y intéresse, mais a les mêmes contraintes de coûts de transport.

DÉSAFFECTION

Pour des entreprises étrangères actives partout dans le monde, comme LM Wind Power ou Enercon, il y a peu d’intérêt à rester en Gaspésie sans les contrats garantis qui les ont incitées à s’y installer. Enercon a d’ailleurs déménagé une partie de sa capacité de production vers l’Ontario qui a, comme le Québec, des exigences de contenu local.

Aussi triste que ça puisse être pour ceux qui perdront leur emploi, il est plus que temps d’arrêter ça, estime Roger Lanoue, ancien dirigeant d’Hydro-Québec et un des responsables de la Commission sur les enjeux énergétiques. 

« La question qu’il faudrait toujours se poser avant de développer de l’énergie, c’est : est-ce qu’il y a un marché ? La réponse est non et ce sera non pour encore longtemps. »

— Roger Lanoue, de la Commission sur les enjeux énergétiques

Selon lui, les derniers appels d’offres d’Hydro-Québec pour de l’énergie éolienne n’auraient jamais dû être lancés. « Déjà, en 2007 et 2008, avec le ralentissement économique et l’expansion du gaz de schiste aux États-Unis, il était possible de prévoir qu’Hydro-Québec se retrouverait avec des surplus importants. »

LA COUPE EST PLEINE

Arrivé en poste alors que ces surplus étaient déjà là, le président-directeur général d’Hydro-Québec, Éric Martel, est aussi d’avis qu’il ne faut pas en rajouter. « Que ce soit à la charge d’Hydro-Québec Production ou d’Hydro-Québec Distribution, acheter de l’énergie qu’on ne peut pas vendre n’est jamais une bonne idée », a-t-il dit lors d’une entrevue récente.

Hydro-Québec prévoit être en surplus au moins jusqu’à la fin de son horizon de prévision, en 2024. L’entreprise continue d’acheter de l’énergie éolienne en vertu des contrats de 20 ans signés avec les promoteurs des parcs éoliens, à un prix indexé chaque année, ce qui exerce une pression à la hausse sur les tarifs d’électricité.

Actuellement, le coût moyen de cette énergie est de 9 cents le kilowattheure.

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