Opinion : Affaire Lagacé

Pour une protection globale des sources journalistiques

Une « condition essentielle au libre exercice du journalisme et au respect du droit du public d’être informé des questions d’intérêt général ». Voilà comment la Cour européenne des droits de l’homme a impeccablement défini le concept hybride de droit et de devoir qu’est la protection des sources d’information des journalistes.

Ici, les évènements entourant l’ « affaire Lagacé » ont clairement démontré l’urgence d’agir de nos gouvernements pour assurer une meilleure protection des sources journalistiques et pour reconnaître formellement, par ce geste, le rôle primordial que les journalistes – les « chiens de garde de la démocratie » – et leurs sources peuvent jouer dans la sauvegarde et l’essor de notre société de droit et de ses institutions démocratiques.

Il est carrément aberrant que les confidences faites à un prêtre bénéficient depuis longtemps d’une forme de secret professionnel, alors qu’une protection semblable n’a pas encore été consentie aux sources journalistiques. Il est grand temps qu’elle le soit.

Même si la Cour suprême du Canada a déjà mis en place certaines mesures de protection, elles sont nettement insuffisantes à plusieurs égards.

Au provincial, une reconnaissance statutaire du secret des sources journalistiques s’impose pour combler les lacunes judiciaires. Une telle loi aurait, du même coup, l’immense avantage de conférer automatiquement à ce secret un statut quasi constitutionnel. En effet, cette protection deviendrait alors un droit garanti par l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne. Ainsi, toute violation de la protection des sources journalistiques, par le journaliste lui-même ou par toute autre partie, y compris des policiers, pourrait faire l’objet de poursuites civiles donnant lieu à une indemnisation et même des dommages-intérêts punitifs.

Cependant, la simple imposition de sanctions civiles par le provincial ne suffit pas. Le gouvernement fédéral aussi doit agir. D’abord en resserrant, dans le Code criminel, les règles en matière d’écoute électronique dans le cas des journalistes (par exemple, en étendant la définition d’« interception » à la fourniture, par une société de communications, de données téléphoniques et en exigeant que la demande d’approbation d’une écoute électronique d’un journaliste soit faite, non pas à un simple juge de paix, mais à un juge d’une cour supérieure). Il faudrait également préciser que le crime de recel exclut de sa portée tout document d’intérêt public fourni à un journaliste à la suite de son vol.

Mais le fédéral se doit d’aller encore plus loin.

Compte tenu de l’importance capitale du secret des sources journalistiques dans une démocratie forte et transparente, toute violation de ce secret devrait, en soi, constituer une infraction criminelle. C’est le cas notamment en France où une amende et une peine d’emprisonnement peuvent être imposées s’il y a une atteinte au secret des sources mais aussi pour une atteinte au « secret des correspondances », postales ou électroniques, y compris leur interception, leur utilisation et leur divulgation.

Avec cette protection de confidentialité, tant civile que criminelle, mise en place, l’État enverrait ainsi aux lanceurs d’alerte potentiels le message clair qu’ils ont non seulement le droit de contribuer à assainir nos institutions démocratiques mais qu’ils sont fortement encouragés à le faire.

Cette double protection statutaire accordée aux sources créerait aussi du même coup un important effet dissuasif : avec le risque accru de se faire dénoncer publiquement par des informateurs bénéficiant d’un anonymat garanti, les élus et fonctionnaires seront davantage incités à mieux se comporter dans l’exécution de leurs fonctions.

En protégeant ainsi davantage les citoyens qui désirent offrir des « os » aux chiens de garde de notre démocratie, celle-ci pourra alors être défendue avec encore plus de mordant.

Ce texte est tiré d’un livre en cours de rédaction intitulé OK, c’est assez !, qui propose une série de mesures de réforme de nos institutions démocratiques.

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