OPINION

Vous avez dit « IWW » ?

Perspectives historiques en marge du conflit de travail chez Frite Alors !

L’annonce cette semaine de la formation d’un syndicat affilié au SITT-IWW (Syndicat industriel des travailleurs et travailleuses – Industrial Workers of the World) dans un restaurant de la chaîne Frite Alors ! a fait beaucoup de bruit.

Loin d’être anecdotique, cette tentative d’organisation dans un secteur réputé difficile à syndiquer permet de renouer avec une riche tradition combattive qui a des racines profondes en Amérique du Nord, y compris au Québec et au Canada.

Fondé à Chicago en 1905, l’IWW cherche à regrouper l’ensemble de la classe ouvrière dans une seule et même organisation syndicale. Tout en cherchant à améliorer les conditions de vie de ses membres, le syndicat développe une critique acerbe du système capitaliste et de ses institutions. En ouvrant ses portes aux personnes immigrantes, aux précaires et aux sans-voix, l’IWW souhaite alors dépasser les clivages (racisme, sexisme, division des syndicats par métier, etc.) qui freinent l’émancipation des travailleurs.

Le syndicat est souvent associé à la fameuse grève dite « du pain et des roses » (1912) qui a permis à plus de 150 000 ouvriers des filatures de la Nouvelle-Angleterre d’obtenir de meilleures conditions de travail. Ce qu’on sait moins, c’est que l’IWW a eu une présence active à Montréal avant la Première Guerre mondiale, tout particulièrement au sein des communautés immigrantes.

Dès 1906, l’IWW compte dans la métropole deux syndicats dans l’industrie du vêtement. Ce secteur est alors en pleine expansion ; les manufacturiers recrutent des travailleurs directement aux États-Unis pour répondre à leurs besoins de main-d’œuvre spécialisée. L’IWW parvient à rallier quelques centaines d’ouvriers d’origine juive et italienne grâce au travail acharné d’une poignée d’organisateurs.

Signe de leur vivacité, les membres du syndicat sont au premier rang des manifestations soulignant le 1er Mai à Montréal.

Cette présence dérange les syndicats « internationaux » affiliés à la toute-puissante Fédération américaine du travail. Une bataille rangée entre les deux organisations se solde par la disparition de l’IWW dans la métropole vers 1914. Si les francophones furent peu nombreux à adhérer à l’IWW au Québec, il n’en alla pas de même chez ceux qui immigrèrent aux États-Unis. On compte de l’autre côté de la frontière une fédération de langue française active avant la Première Guerre mondiale qui publiera un journal et tiendra plusieurs congrès.

En 1918, l’IWW est interdite aux États-Unis et au Canada à la faveur d’une vaste campagne de répression qui suit la révolution russe. Du côté des autorités, on craint une radicalisation des luttes ouvrières alimentée par l’impopularité croissante vis-à-vis de la guerre. Des membres de l’IWW sont emprisonnés et déportés pour leur affiliation syndicale. Plusieurs pensent alors que l’organisation a rendu son dernier souffle. Pourtant, le syndicat se remet de cette épreuve de force, arrivant à livrer des batailles importantes dans les années 20 et 30.

Toutefois, l’intégration progressive des syndicats au mode de régulation associé à l’État-providence, qui s’accompagne d’un encadrement de plus en plus poussé des relations de travail, laisse peu de place à un syndicalisme fondé sur l’action directe et la critique du système capitaliste sur des bases anti-autoritaires. Dans le sillon des luttes menées depuis la fin des années 90 contre les politiques néolibérales, l’IWW connaît toutefois un regain de popularité dans des secteurs où la précarité et l’exploitation sont la norme.

Si la campagne menée actuellement à Montréal tranche avec le modèle « traditionnel » d’organisation syndicale, elle n’est pas pour autant vouée à l’échec.

Alors que le mouvement syndical cherche à se renouveler, le SITT-IWW choisit de retourner aux sources du syndicalisme, non sans difficulté. En cherchant à développer un rapport de force suffisant pour faire des gains sans passer par le processus habituel d’accréditation, ses membres renouent avec des pratiques qui ont permis au siècle dernier à des milliers d’hommes et de femmes d’obtenir plus de justice et d’égalité grâce à leur meilleure arme : la solidarité.

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