BMX 
Édouard Bellefeuille

Le besoin de rouler

BROMONT — Le samedi 15 juillet. C’est la frénésie autour de la piste de BMX du Centre national de cyclisme de Bromont. Des centaines d’athlètes de tous âges participent aux Championnats provinciaux de BMX. Édouard Bellefeuille, 10 ans, est sur place, mais il ne coursera pas aujourd’hui. Bouleversé, il peine à retenir ses larmes.

Il y a un peu plus d’un mois, il s’est blessé à l’entraînement, un bête accident. « J’ai fait un saut et j’ai atterri trop loin sur une autre bosse. Je suis tombé et je me suis lacéré le foie et la rate », confie-t-il. Les médecins lui ont interdit de pédaler, un congé forcé de six semaines. Il a repris l’entraînement il y a quelques jours. Il roule doucement. Tout doucement.

Édouard sait que sa patience sera récompensée. En raison de son classement au pays, le cycliste de Saint-Augustin-de-Desmaures a obtenu un laissez-passer pour les Championnats du monde de BMX, qui se déroulent du 25 au 29 juillet à Rock Hill, en Caroline du Sud. Il attend ce moment depuis longtemps. Il se frottera aux meilleurs athlètes de BMX de la planète, dans sa catégorie. « Pour ma première participation, j’aimerais me classer dans la première moitié. Il y aura 120 participants », dit-il.

Son entraîneur, Hedi Bassoussi, est d’avis qu’il peut relever le défi. « Édouard est un athlète d’élite dans un corps d’enfant. Il est persévérant, sérieux, il veut tout comprendre pour progresser. Il s’intéresse à la nutrition, à la préparation physique. » Édouard a été champion canadien en 2014 et 2015.

« Le BMX est un sport en croissance constante. Plusieurs cyclistes, de montagne ou sur route, ont débuté en BMX, c’est souvent un tremplin. On y gagne en puissance, on y développe plusieurs habiletés. »

— Hedi Bassoussi, entraîneur et champion canadien

Un brin obsessif, le garçon visionne en boucle des vidéos de ses idoles en action, souligne sa mère Bianca Durocher. « Il analyse en profondeur chaque mouvement pour se perfectionner. À la maison, les marches se montent quatre à quatre parce qu’il a vu un champion le faire pour améliorer la propulsion. » C’est aussi pourquoi Édouard saute sur le muret, devant la maison. « Il est plein d’écorchures et de bleus. Je suis certaine qu’il les compte avec fierté avant de se coucher », blague-t-elle.

Trop-plein d’émotions

Petit, il voit déjà grand : atteindre la finale des Jeux olympiques de 2024. « Édouard est un vrai passionné, il va aller loin, prévoit son entraîneur. Mais on lui apprend à gérer ses attentes, ses émotions. Quand il est déçu d’un résultat ou frustré d’une situation, il peut être bouillant. »

Comme ce matin. La mère d’un camarade a néanmoins réussi à le consoler en lui offrant… une chocolatine. Ça ne vaut certainement pas une place au départ, mais il a souri. Question de le contenter, sa mère l’a autorisé à participer aux tours d’entraînement aujourd’hui. Il s’amuse aussi sur la pumptrack, une petite piste de terre aux nombreuses courbes et bosses. « Sois prudent et roule mollo », l’avise sa mère. Elle doit aussi jeter un œil sur le petit frère d’Édouard, 7 ans, qui sera de la course. « Au retour, j’aimerais qu’on arrête à Waterloo pour rouler sur la petite piste », demande Édouard.

Des cannettes pour un vélo

Édouard Bellefeuille fait du BMX depuis qu’il a 5 ans. Dès son premier essai, il a attrapé le virus. Avant même de fréquenter la maternelle, il était fasciné par les cyclistes qui survolaient la piste de BMX du Club de Saint-Augustin. Il passait devant deux fois par semaine, lors de ses entraînements de soccer. L’hiver aussi, il regardait la piste endormie, tout aussi intrigué. « J’ai souvent demandé à ma mère si je pouvais essayer », dit-il. Elle a hésité, s’est informée et a finalement accepté. Après, tout a déboulé.

Un mois à peine après son initiation, le garçon participait à sa première course. « Je me souviens, j’étais plutôt nerveux, confie-t-il. On m’avait dit que certaines courbes étaient glissantes à cause de la pluie. J’ai terminé quatrième. J’ai vraiment aimé ça. »

Pour obtenir le vélo de ses rêves – « un BMX Intense à fourche de carbone », précise-t-il –, il était prêt à tout. « J’ai ramassé des cannettes pour avoir des sous. À ma fête et à Noël, je demandais de l’argent plutôt que des jouets. Mon grand-père m’a aidé. Au début, je dormais avec mon vélo à côté de mon lit. »

Aujourd’hui, sa chambre est meublée de trophées et de médailles. Aux murs, de nombreux portraits encadrés de ses idoles photographiées en sa compagnie. « J’ai rencontré plusieurs champions, comme Mariana Pajón, championne olympique et championne du monde », dit-il, avec admiration.

Du matin au soir

Ces dernières semaines, il s’est accroché à sa précieuse collection pour garder le moral. « C’est extrêmement difficile pour lui de ne pas rouler, dit sa mère. Si ce n’était que de lui, il roulerait tous les jours du matin au soir. Il faut le retenir. Et il sait que le titre de champion québécois lui échappe aujourd’hui. »

L’été, Édouard est sur la piste trois soirs par semaine, de 17 h à 18 h en entraînement privé, de 18 h 30 à 20 h avec son groupe et jusqu’à 22 h 30 avec les adultes. « On a de la difficulté à le faire sortir », dit Hedi Bassoussi. Il participe à une vingtaine de compétitions par an.

Quand il n’est pas en piste, il n’est pas du genre à se tourner les pouces. « Il fait de l’entraînement en gymnase. Au début, c’est lui qui a demandé de fréquenter le centre sportif, il ne voulait plus aller au service de garde à l’école. Il disait que ça ne l’intéressait pas de faire du bricolage. » Il a un programme personnalisé. « Lors de journées pédagogiques, il demande souvent pour y aller. On s’assure que son entraîneur est sur place pour l’assister. »

Si les leçons et les devoirs sont faits, les parents encouragent leurs enfants à bouger. « Édouard est heureux quand il fait du sport. L’hiver, il joue au basketball trois fois par semaine, il joue au hockey, il fait du snowboard. »

Pourquoi le BMX ? Pour l’adrénaline, pour la rivalité sur la piste, pour l’esprit d’équipe aussi, énumère-t-il. « Dans notre catégorie, on est comme une gang. On va tous rouler ensemble avant les courses. La semaine dernière, plusieurs sont venus me voir, prendre de mes nouvelles. » Il est même copain avec son grand rival, Aleck Venne Diotte. « On s’entend vraiment bien. »

Édouard a hâte de renouer avec la bande, en piste. En attendant, il roule doucement. Tout doucement.

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