Chronique

Le monopole de l’incompétence

Pathétique, conne finie, féministe enragée, maudite bouffonne gauchiste : je ne compte plus le nombre d’insultes vertes et pas mûres que j’ai reçues à la suite de ma chronique sur Louis-Jean Cormier et la parité.

Ayant une trop longue habitude des insultes et des invectives de tous genres, je ne m’en suis pas formalisée outre mesure. Mais j’avoue que j’ai été étonnée. Très étonnée.

Je croyais honnêtement et très naïvement que le débat sur la parité avait été réglé, que ça allait de soi, qu’une sorte de consensus social s’était cristallisé autour de cette question et qu’au Québec, société égalitaire par excellence, nous tous, hommes, femmes et trans confondus, marchions main dans la main vers la parité. Erreur. Grossière erreur.

Quand c’est rendu que même Marie Grégoire se demande à la radio si les quotas qui viennent forcément avec les politiques de parité sont une bonne chose, c’est que rien n’est réglé.

À ses yeux, comme aux yeux de bien des hommes, les quotas ouvrent la voie à un totalitarisme gris et glauque où tout est calculé et divisé moitié-moitié au millimètre près, sans aucune nuance. Bref, c’est un délire de féministe frustrée…

Pourtant, avez-vous entendu un homme, un seul homme blanc, rose ou bleu, monter au créneau et traiter Bill Morneau de féministe radical, la semaine dernière, lorsque le ministre des Finances a revendiqué, devant un auditoire à Calgary, la parité dans toutes les sphères de la société ?

« Le gouvernement ne peut pas réaliser la parité entre les sexes tout seul. Les dirigeants d’entreprises doivent également participer. Il est temps de renforcer le pouvoir économique des femmes et d’encourager leur participation à l’économie. C’est la clé pour tirer la croissance économique, augmenter les profits, accroître la diversité et augmenter l’innovation », a lancé le ministre.

À ce que je sache, personne dans la salle n’a protesté. Personne n’a dit que le ministre était un malade mental qui menaçait la survie du Canadien moyen en l’assommant à grands coups de quotas afin de construire un goulag fémino-nazi.

Personne n’a protesté lorsqu’ici même, dans cette chronique, j’ai salué l’initiative du commissaire de l’ONF, Claude Jolicoeur. En 2016, il a été le premier dans le milieu du cinéma à s’engager pour la parité et à promettre que d’ici 2019, la moitié de toutes les productions de l’ONF seraient réalisées par des femmes. Aux dernières nouvelles, cette parité est presque atteinte. Selon des chiffres récents, 47 % des œuvres réalisées en 2017 et 2018 à l’ONF sont signées par des femmes.

Personne ne m’a crié de bêtises quand, toujours dans cette chronique, j’ai applaudi les politiques de parité de la SODEC et de Téléfilm Canada, qui ont fait grimper de manière exponentielle le nombre de projets de film présentés par des femmes, projets qui se comptaient autrefois sur les cinq doigts de la main, et encore.

Je ne veux surtout pas plaider l’ignorance, mais si ces chroniques avaient généré le quart des messages hargneux que j’ai reçus ces derniers jours, j’en aurais conclu qu’il y avait un problème et que la parité ne faisait pas l’unanimité. Mais il n’en fut rien.

D’où mon grand étonnement et la découverte que c’était peut-être moi, dans le fond, qui ne vivait pas sur la bonne planète. Pas Louis-Jean Cormier…

Hormis les encouragements de Françoise David et de quelques rares sympathisantes, j’ai été inondée de réactions violemment en désaccord avec mes positions. De la part d’hommes comme de femmes.

Ce qui m’a frappée, c’est la vive résistance aux quotas, exprimée par mes détracteurs.

Au Québec, on a beau être pour l’égalité hommes-femmes, on est allergique aux quotas. Je veux bien. Mais si on laisse tomber les quotas, comment règle-t-on le problème de l’inégalité ? En laissant faire la nature ?

Jusqu’à maintenant, on ne peut pas dire que la nature et son corollaire, l’élimination naturelle, aient fait leurs preuves à ce sujet. Que la meilleure gagne est peut-être un bel adage, mais il ne se réalise pas souvent.

Parfois, la meilleure perd face au moins bon. Pas par vengeance ni par méchanceté, mais parce que le moins bon se vend mieux ou parce que le moins bon parle le même langage que celui qui tire les ficelles et qui prend les décisions. Un peu comme lorsque Louis-Jean Cormier, dans son désir d’offrir le meilleur spectacle possible, choisit de travailler avec des gars parce qu’il a confiance en eux et parce qu’il croit, dans son for intérieur, qu’ils sont les meilleurs, convaincu que des filles, dans la même situation, seraient moins bonnes.

Mais permettez-moi de demander pourquoi les filles seraient moins bonnes, pourquoi elles auraient d’office le monopole de l’incompétence…

Je pose la question parce que les opposants à la parité invoquent souvent l’argument massue de la compétence. On ne choisira pas une femme juste parce qu’elle est une femme, seulement si elle est compétente, m’ont-ils répété.

Le problème avec cette affirmation qui semble raisonnable, c’est qu’elle cache la conviction trop généralement répandue que les femmes ont le monopole de l’incompétence. Si on ne les engage pas comme techniciennes, musiciennes, réalisatrices ou tutti quanti, c’est parce qu’il y a toujours un homme plus compétent devant elles. Mais comment mesurer cette compétence quand elle ne se rend jamais à l’étape de la comparaison ?

Si Louis-Jean Cormier avait engagé plus souvent des techniciennes de son pour ses spectacles et constaté qu’effectivement, elles étaient moins rigoureuses ou performantes que leurs confrères, on comprendrait, mais il ne leur a pas (ou peu) donné leur chance. Ce n’est pas de sa faute. Il ne fait que suivre le système en place. Et dans ce système, les femmes n’ont pas le droit à l’erreur. Les hommes, eux ? Ils peuvent se tromper et rater leur coup. On leur reprochera d’être pourris, mais jamais d’être des hommes. Voilà ce que la parité tente de corriger. Et selon ce que je comprends, ce n’est pas demain la veille qu’elle va y arriver.

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