opinions Controverse du défilé de la Saint-Jean

Voici trois textes en réaction à la controverse du défilé de la fête nationale, samedi dernier à Montréal.

Opinion

Quand une vidéo vaut plus de mille mots

Est-ce à Maxime Laporte, le président du Comité organisateur des Fêtes de Laval et de Montréal, de dire en quoi consiste une représentation digne de la diversité québécoise ?

« On n’a jamais mis autant d’efforts pour représenter la diversité québécoise. »

— Maxime Laporte, président du Comité organisateur des Fêtes de Laval et de Montréal

Les discussions s’enflamment encore au sujet de cette vidéo malheureuse où on voit des jeunes personnes noires poussant un chariot du défilé de la Saint-Jean, entourées de personnes blanches chantant et arborant des sourires d’insouciance dans les rues de Montréal. La courte vidéo rappelait soit une fresque de hiérarchisation raciale, l’histoire de la traite des Noirs, une caricature du réel perçu et vécu par trop de gens dénonçant le racisme systémique ou un peu de tout ça.

Une image vaut mille mots.

Le malaise persiste même après le reportage de Radio-Canada se complaisant longuement dans les explications de l’entraîneur en chef de l’école Louis-Joseph-Papineau, d’où proviennent ces jeunes. Sterve Lubin sera contraint à dire, voyant son sens critique remis en question, que la participation de ses jeunes était volontaire et que ce n’était pas une question de couleur pour lui ou pour eux, mais de fierté de représenter leur quartier. Ses mots ne règlent rien. Ça empire le tout. Ce n’est pas la présence de ces jeunes qui dérange, c’est leur positionnement et la portée de leur participation.

Pendant ce temps, où sont Joël Legendre, le metteur en scène, ainsi qu'Éric Noguès, le concepteur des costumes ? Le débat devrait donc se poursuivre ailleurs, mais vu qu’un responsable noir a été le réceptacle des questions et cautionne le tout, certains veulent vite passer à autre chose, à en juger par les commentaires sur la page de la Fête nationale du Québec à Montréal. Pas si vite.

« Nous tenons à faire cette mise au point. [...] Nous avons fait appel à l’Association pour la persévérance scolaire et aux jeunes de l’équipe sportive de l’école secondaire Louis-Joseph-Papineau pour relever ce défi [des chars poussés par des citoyens]. »

— Page Facebook de la Fête nationale du Québec à Montréal

Il faut du culot et du mépris pour associer la forme de participation de ces jeunes au souhait de ne pas produire de gaz à effet de serre. Les deux se peuvent et doivent se faire en ayant une sensibilité pour la manière dont le symbolique vient confirmer les dynamiques existantes d’oppression.

On parlera de persévérance scolaire de jeunes provenant de quartiers défavorisés, toutefois ces derniers ne sont pas payés pour leur labeur, mais paient de leur sueur en portant un discours qui les dépasse. L’instrumentalisation doit cesser. L'association pour la persévérance scolaire à laquelle est associée l’école communément appelé « Louis-Jo » aurait reçu un don ? 

Quels sont les détails de cette entente de non-rétribution salariale envers des jeunes qui ont l’air, malgré le contexte, de purger une peine pour un crime qu’ils n’ont pas commis ? Même l’entraîneur, Sterve Lubin, a dit : « Nos jeunes changent. » De quoi parle-t-il ? N’est-ce pas à la société de changer ?

Peut-on reprocher à plusieurs spectateurs du défilé ou de la vidéo de ne pas avoir saisi ce que les organisateurs voulaient véhiculer comme message ?

Si on sort de l’insulte de l’intelligence du public, y a-t-il moyen de penser à comment la diversité aurait pu être impliquée différemment dans ce tableau du défilé ? Plein de concepteurs talentueux seraient en mesure de réfléchir à la manière de capter positivement l’imaginaire des spectateurs tout en mettant en scène, autrement, le génie de ces jeunes.

Vous vous rappelez Tintin au Congo ?

Les jeunes savaient-ils comment ils seraient perçus ? Savaient-ils exactement en quoi leur contribution consisterait ? Est-ce que quelqu’un peut me dire qu’il aurait, en toute connaissance de cause, envoyé ses jeunes doublement minorisés à cet événement ? Je dis doublement minorisés, car un, ils sont mineurs. Deux, ils sont de minorités visibles.

N’y a-t-il pas là un rappel du réel ? Des personnes noires surreprésentées dans les prisons fédérales canadiennes, sous-représentées dans la fonction publique montréalaise, sous-représentées ou mal représentées dans nos écrans de télévision, sous-représentées dans les postes de direction de nos sociétés d’État, surreprésentées dans des emplois précaires ?

Guérir la mise en scène de notre fonctionnement sociétal

Pire encore, on réalise que rares sont les occasions où on donne une pleine latitude aux personnes racisées pour qu’elles déterminent de quelle façon elles veulent participer ou être représentées. Quand elles auront l’audace de faire une demande qui sort du script, on répondra : « La production n'a pas le budget. Désolé, la position est déjà prise. »

Je remets en doute aussi, comme d’autres, l’objectivité du reportage de RDI dans le sens où l’équipe journalistique ne donne aucunement la parole aux gens outrés par le peu d’images qu’ils ont vu. Peut-être que l’équipe derrière le reportage considérait que les points de vue dénonçant le côté indigeste de cette tentative d’inclusion était déjà trop représentés sur le numérique ?

Je dirai alors : heureusement. Le numérique, sous certains aspects, permet actuellement de porter des voix qui n’existent pas dans les sphères décisionnelles de plusieurs institutions culturelles et médiatiques. Pour éviter de reproduire, par hasard ou par choix songé, ce dont nous avons été témoin lors de cette portion du défilé de la fête nationale, il faut cesser de donner le dernier mot et les moyens à ceux qui sont complices de la sous ou de la non souhaitable représentation de l’autre « nous ». C’est seulement à ce moment-là qu’on pourra accepter de se faire dire : « On se calme le mouton ».

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