Chronique

Ce marché n’est pas une énigme

De New York, où sont situés les bureaux de la Major League Soccer (MLS), Montréal semble représenter une énigme.

Voilà un marché où le soccer est assez populaire pour attirer plus de 60 000 spectateurs lors d’une rencontre éliminatoire contre le Toronto FC ; où l’arrivée en ville de Didier Drogba provoque un engorgement à l’aéroport ; et où l’attribution des droits locaux de télédiffusion des matchs entraîne une bagarre entre deux géants des télécommunications, Bell Média et Québecor, finalement remportée par ce dernier.

En revanche, voilà aussi un marché où, après cinq ans d’efforts, l’Impact demeure incapable d’atteindre son objectif d’abonnements saisonniers fixé en 2012 ; où, malgré une couverture médiatique qui grimpe en flèche, le plus récent match au stade Saputo a été présenté devant 3000 sièges vides ; et où les vedettes de l’équipe n’ont généralement pas la notoriété espérée.

D’où la question : Montréal est-il une bonne ville de soccer ? L’Impact deviendra-t-il un incontournable de notre vie sportive ?

Don Garber a évoqué cet enjeu, hier, lors d’un point de presse à l’occasion de sa visite à Montréal. Après avoir vanté – avec raison – les immenses réalisations de Joey Saputo au cours des dernières années, il a tracé le long chemin que l’Impact devra parcourir avant de compter parmi les premiers de classe du circuit.

« Cette équipe devrait jouer tous ses matchs à guichets fermés et il faut trouver la solution pour y parvenir », a affirmé le commissaire de la MLS, qui souhaite du coup que l’Impact soit plus « intégré » à la communauté et devienne plus « pertinent » sur notre scène sportive. 

Le commissaire de la MLS aurait aimé, par exemple, que l’Impact soit clairement associé aux célébrations du 375e anniversaire de Montréal.

Même si le rôle de Garber est de pousser les organisations vers le haut, j’ai trouvé ses propos un peu durs. Ses compliments à l’endroit de l’Impact et du marché montréalais ont été nombreux, mais ses reproches aussi. Remarquez que cela a peut-être fait l’affaire de Joey Saputo, qui aime bien secouer les choses à l’occasion.

Les constats du commissaire seraient pourtant valides dans la plupart des villes du circuit. On ne joue tout de même pas devant des gradins remplis partout en MLS ! Et que ce soit à Toronto, New York, Chicago ou Los Angeles, l’équipe de soccer est moins importante que celles des quatre autres ligues professionnelles (NFL, MLB, NBA et LNH), qui regroupent les meilleurs joueurs au monde.

Au soccer, les plus grandes vedettes évoluent en Europe. Il s’agit d’une différence fondamentale, qui explique la résonance moins grande de la MLS. Si on bâtit une ligue en gardant les salaires très bas, sauf pour un nombre limité de « joueurs désignés », il faut peut-être accepter de passer deuxième !

Non, l’Impact ne générera pas dans un avenir rapproché un intérêt s’approchant de celui suscité par le Canadien. Mais l’organisation progresse et augmente sa notoriété tous les ans. Mieux vaut construire une base solide que vouloir brûler les étapes. Et sur ce plan, l’Impact prend les bonnes décisions, notamment en consacrant des ressources importantes à son Académie, en modernisant le stade Saputo et en soignant sa place à la télé et à la radio.

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Le 2 août prochain, le match des Étoiles de la MLS sera présenté à Chicago. La perspective de tenir ce rendez-vous à Montréal à l’occasion des fêtes de 2017 a été évoquée il y a trois ans. Mais l’affaire n’a pas abouti et on comprend mieux pourquoi aujourd’hui. Selon Garber, Montréal n’est pas prêt à accueillir un des évènements les plus prestigieux de sa ligue.

« En discutant avec Joey et ses collaborateurs au cours des deux dernières années, on a réalisé qu’on avait encore beaucoup de travail devant nous pour trouver les niveaux d’appui et d’engagement nécessaires, ainsi que pour conclure de bons partenariats avec la Ville et les autres membres de la communauté. »

Chicago n’est pourtant pas une des villes phares de la MLS. Selon les données d’ESPN.com, le Fire a terminé 19e sur 20 au chapitre des assistances la saison dernière (l’Impact – tiens, tiens – a occupé le 8e rang). Dans cette ville aussi, il y a des défis à relever pour consolider la place de l’équipe dans le panorama sportif.

Mais dans le dossier du match des Étoiles, le maire de Chicago, Rahm Emanuel, s’est montré proactif. « Nous avons conclu une entente avec lui, a expliqué Garber. Une grande variété d’activités aura lieu. Il y aura des concerts, des programmes pour les jeunes, des terrains seront construits... »

Denis Coderre foncera-t-il un jour avec le même enthousiasme dans un projet de la MLS ? Joey Saputo, présent au point de presse du commissaire, n’a pas évoqué la question hier. Mais à l’évidence, le sujet demeure sensible. 

La campagne de promotion du maire en faveur du retour des Expos est forte. Et cela chatouille l’Impact, qui se retrouverait face à un nouveau et puissant concurrent si le projet se concrétisait.

Bien sûr, le maire Coderre appuie l’Impact. Et il milite depuis longtemps pour la présentation de la Coupe du monde de soccer au Canada. Mais son engagement émotif envers ce sport n’a jamais semblé égal à celui qu’il éprouve pour le baseball, dont il parle avec une passion dévorante. Cela n’échappe pas à l’Impact.

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Satisfait de ses partenariats médiatiques et du monde des affaires, l’Impact doit maintenant augmenter le nombre de ses partisans. Comme dans bien des villes, le noyau dur est composé de fans passionnés, gagnés à la cause du bleu-blanc-noir. Se greffent à eux des partisans plus occasionnels, qui gardent un œil sur l’équipe et visitent parfois le stade Saputo.

Tout cela est très bien. Mais pour hausser le rayonnement de l’équipe, d’autres amateurs de sport devront s’intéresser au club, notamment les gens n’ayant pas grandi en jouant au soccer. Il faudra aussi mieux faire connaître l’équipe et la MLS à l’extérieur de la grande région de Montréal. Dans les mots de Garber, cela veut dire trouver des appuis à l’extérieur de « l’écosystème » naturel du club.

En accédant à la MLS en 2012, l’Impact a cru que sa progression serait fulgurante. Mauvaise évaluation, puisque l’organisation est partie de beaucoup plus loin qu’elle le croyait. Et soyons sûrs d’une chose : il y aura d’autres moments magiques, d’autres déceptions et d’autres défis, comme celui de gérer l’après-Drogba, une tâche plus délicate que prévu.

Non, le marché de Montréal n’est pas une énigme. Il est simplement représentatif d’un sport en croissance en Amérique du Nord, mais pas encore parvenu à maturité.

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