Chronique

La CAQ et l’économie utérine

L’incursion du chef caquiste François Legault sur le terrain nataliste a suscité de vives réactions à cause de ses sous-entendus identitaires et de l’inefficacité probable des mesures qu’il envisage.

Je voudrais insister sur autre chose. Si M. Legault veut promouvoir la natalité, c’est d’abord et avant tout, dit-il, pour des raisons économiques, pour combattre les effets du vieillissement démographique qui plombe le développement. Mais, derrière une logique en apparence implacable, son raisonnement économique repose sur des raccourcis et des sophismes et ne tient pas la route.

Le point de départ de M. Legault est tout à fait valide. Le Québec a un problème démographique dont on ne parle pas assez. Ce qui a d’ailleurs amené l’Institut du Québec (IdQ), organisme de recherche issu d’un partenariat entre HEC Montréal et le Conference Board, à publier la semaine dernière une étude sur la question.

Le défi démographique du Québec est plus marqué que celui de la plupart des autres sociétés à cause des particularités de ses habitudes de reproduction : un taux de natalité exceptionnellement élevé pendant longtemps (un indice de fécondité de 4,04 enfants par femme en 1954), suivi d’un taux exceptionnellement bas (1,42 en 1974). Ce contraste a de multiples effets. D’abord, un baby-boom plus fort qu’ailleurs, ce qui commence à mener à une proportion de retraités élevée. Ensuite, un poids plus faible qu’ailleurs des générations qui suivent le baby-boom. Enfin, avec une fécondité basse, à partir de 2034, selon l’Institut de la statistique du Québec, les naissances seront moins nombreuses que les décès,  ce qui mènerait à une baisse de la population sans apport de l’immigration.

Et comme les changements de comportement des Québécois ont été très rapides, ce choc démographique est plus brutal que presque partout ailleurs.

Les conséquences sont nombreuses. On pense au coût collectif de la prise en charge de cette population vieillissante, notamment pour la santé, ou encore aux rentrées fiscales en baisse parce que le poids des travailleurs plus jeunes est plus bas.

Mais il y a un autre impact, dont on parle moins, et qui a beaucoup plus de conséquences économiques  : le fait que les jeunes qui arrivent à l’âge de travailler sont maintenant moins nombreux que ceux qui arrivent à l’âge de la retraite. La baisse de la population des 15 à 64 ans s’est amorcée en juillet 2013. Jusqu’ici, elle est modeste, 25 300 personnes de moins. Cependant, on n’assiste pas au même phénomène chez nos voisins. Pendant la même période, le nombre de personnes de 15 à 64 ans a augmenté de 257 500 en Ontario et de 495 100 dans le reste du Canada.

Cette baisse de la main-d’œuvre contribue largement au fait que la croissance sera plus faible dans l’avenir, soit de 1,3 à 1,4 %, selon le Conference Board, comparativement à 2 % dans le passé.

Ce sont ces problèmes qui ont amené M. Legault à lancer : « La population du Québec vieillit. Comment on répond à ce défi déterminant pour notre avenir ? Il n’y a pas 50 solutions possibles, il y en a deux : l’immigration et la natalité. »

Le problème, c’est qu’il n’y en a pas seulement deux ! Pour contrer la baisse de la main-d’œuvre et les pénuries de travailleurs, il y a plutôt une panoplie de mesures. L’immigration en est une – l’IdQ propose d’ailleurs d’augmenter l’immigration, à condition de réussir l’intégration et de garder les immigrants. Mais le succès passera beaucoup par une augmentation de la productivité pour compenser la rareté des travailleurs, et par une foule de mesures qui permettraient de mieux mettre à contribution les ressources existantes – garder au travail les employés plus âgés, améliorer la contribution de chacun par la formation, l’éducation et la lutte contre le décrochage, intégrer les exclus, les autochtones, les immigrants, les bénéficiaires de l’aide sociale.

À ce chapitre, les politiques de M. Legault aggraveraient certainement les choses. D’abord, parce qu’il veut réduire les seuils d’immigration de 50 000 à 40 000 par année. Ensuite, parce que ses politiques natalistes, à supposer qu’elles puissent fonctionner, ne seraient d’aucun secours. Faites le calcul : cinq ans pour que les familles se mettent à faire plus de bébés, 20 ans pour que ces bébés deviennent des travailleurs.

Les besoins en main-d’œuvre commencent maintenant, la natalité donnerait des effets dans un quart de siècle. Mettons que c’est un méchant trou.

Le chef caquiste a cité un autre enjeu économique : l’apport des naissances sur la taille de l’économie, évoquant le fait que la France, grâce à sa forte natalité, dépasserait l’Allemagne. Est-ce vraiment un problème ? Ce n’est pas la grosseur d’une économie qui compte, mais sa performance, sa productivité, et le niveau de vie qui en résulte.

À cela s’ajoute évidemment le fait qu’il n’est pas évident que les politiques dites natalistes donnent des résultats. Le Québec est l’endroit le plus généreux du continent pour ses congés parentaux et son système de garde. Cela améliore le sort des parents, cela contribue à la participation des femmes au marché du travail, mais ça ne donne pas un taux de natalité élevé.

Si la politique est parfaitement inutile sur le plan économique, elle a des vertus politiques. D’abord, parce que M. Legault promet un chèque aux familles qui voudront avoir deux ou trois enfants. C’est toujours populaire. Mais surtout, parce que quand on gratte le vernis économique, on tombe sur une belle couche identitaire.

En fait, il y a trois messages de nature identitaire. Le premier, c’est le poids du Québec, comme l’explique clairement M. Legault : « La taille de la population du Québec, c’est important pour définir son identité, ne serait-ce que pour le pourcentage de Québécois à l’intérieur du Canada. » Le deuxième, c’est la préférence à peine voilée pour les bébés bien de chez nous plutôt que pour les immigrants. Le troisième, c’est un appel à nos traditions familiales. Du bon stock pour la prochaine campagne électorale.

Fluctuation de la population de 15 à 64 ans,entre juillet 2013 et octobre 2018

Québec : - 25 300

Ontario : + 257 500

Reste du Canada : + 495 100

Source : Institut du Québec

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