Chronique

Un meneur bien ordinaire

En toute justice, il faut admettre que la commande était énorme pour Pierre Karl Péladeau.

Il devait affronter trois adversaires qui cumulent expérience politique et états de service remarqués au sein du Parti québécois, lui dont la carrière politique n’a même pas un an, il est, avec raison, présumé meneur et devait, en ce sens, « livrer » une grande performance à son premier vrai débat.

En toute justice, PKP est sans aucun doute le candidat le plus connu et le plus populaire de cette course, mais il a été hier soir le plus ordinaire des cinq prétendants.

Contre Martine Ouellet (la plus studieuse), Alexandre Cloutier (le plus dynamique), Bernard Drainville (le plus charismatique) et Pierre Céré, qui n’a jamais été élu, mais qui ne laisse pas sa place, M. Péladeau semblait le plus souvent décalé, même dépassé. À vrai dire, enlevez-lui l’aura de propriétaire d’un empire de presse et d’entrepreneur richissime, et il ferait figure de candidat faible au sein de ce groupe relevé. C’est le métier qui rentre, sans doute. M. Péladeau manque de naturel, il manque d’humour, ses réponses sont longues et vagues, le plus souvent émaillées de lieux communs.

Il faut dire que M. Péladeau a joué sur la défensive toute la soirée. Difficile de marquer des points avec une telle stratégie. À au moins quatre reprises, il a patiné à reculons pour éviter de répondre (en fait, il a même carrément ignoré ces questions) à ses rivaux. Bernard Drainville a lancé la première salve, demandant à PKP s’il était disposé à dépenser des fonds publics pour faire la promotion de l’indépendance en attendant le prochain référendum. Pas de réponse.

Quelques minutes plus tard, au tour de Martine Ouellet, qui voulait savoir si M. Péladeau était d’accord avec un projet de loi interdisant aux entreprises de recourir à des ressources extérieures lors des conflits de travail (loi anti-briseurs de grève), comme Québecor l’a fait lors des lock-out au Journal de Québec et au Journal de Montréal. Pas de réponse.

Pierre Céré a aussi pris pour cible PKP, lui demandant, en citant le professeur Alain Denault, si Québecor avait, dans le passé, transféré de l’argent dans des paradis fiscaux comme la Barbade. Pas de réponse de PKP, si ce n’est pour dire qu’il n’occupe aucun poste de direction à Québecor, en ce moment, et qu’il n’est pas « pertinent » de parler du passé de cette entreprise. Pourtant, quelques minutes plus tard, le même PKP partageait avec enthousiasme ses souvenirs de gestionnaire de Québecor.

Vers la fin de la soirée, Bernard Drainville, certainement un candidat au titre de vainqueur de ce premier débat, a lancé, avec son ton familier d’animateur de tribune téléphonique : « J’ai de la misère à avoir des réponses de Pierre Karl à soir ! »

Qu’à cela ne tienne, toutefois, pour bien des militants, qui tiennent plus à voir PKP devenir chef de leur parti que de l’entendre répondre aux questions embarrassantes.

Chaque fois que le modérateur (Gilles Gougeon) annonçait un duel entre PKP et l’un de ses adversaires, on sentait la tension monter dans la salle.

En début de soirée, Bernard Drainville suggérait aux militants que ce premier débat donnerait des éléments de réponse sur la personnalité du prochain chef. À entendre les huées chaque fois qu’une question un peu corsée lui était adressée, il semble que les partisans de Pierre Karl Péladeau se passent volontiers de certains éléments de réponses et qu’ils s’accommodent fort bien de ses silences et de ses louvoiements.

Depuis des semaines, les rivaux de M. Péladeau dans cette course déplorent, précisément, qu’il soit presque impossible d’attaquer le meneur de front sans braquer les militants qui voient en lui le prochain sauveur.

Après le débat, le président du PQ, Raymond Archambault, a résumé un sentiment largement partagé chez les militants péquistes : « On a eu droit à un bon débat. Il y a eu quelques accrochages, mais pas trop… »

Dans son introduction, Pierre Karl Péladeau a pris soin de rappeler sa longue expérience d’entrepreneur, tout en rappelant la mémoire de son père, qui lui a « appris à se tenir debout ».

Avant le débat, dans l’auditorium du cégep de Trois-Rivières, certains militants et organisateurs des camps adverses parlaient beaucoup de la très étrange conférence de presse de PKP, mardi à son quartier général de Montréal, avec, en toile de fond, une question : est-il capable de supporter la pression sans craquer ?

D’où l’allusion sibylline de Bernard Drainville dans sa présentation : « Si vous cherchez quelqu’un qui sera capable de résister au tir nourri des journalistes pendant toute une campagne électorale, je suis votre homme. »

M. Drainville, comme les autres aspirants, aura fort à faire pour convaincre les militants qu’il est, effectivement « leur homme ». Parmi les nombreux militants péquistes réunis hier soir au cégep de Trois-Rivières, « leur homme », c’est clairement Pierre Karl Péladeau, et ce n’est pas quelques questions sans réponse qui les fera changer d’idée.

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