Chronique : Salaire des médecins

Il faut des réponses

Au début de cette année, des données provenant de l’Institut canadien d’information sur la santé ont permis de découvrir que les médecins québécois avaient tellement rattrapé les autres provinces qu’ils gagnaient maintenant plus que les médecins ontariens.

C’est mon collègue Francis Vailles qui avait sonné l’alarme avec des chiffres qui ont suscité un vif débat. Les données publiées la semaine dernière par l’ICIS permettent de pousser la réflexion un peu plus loin. Avec des chiffres plus frais, portant sur 2015, on peut dire que l’avance des spécialistes se confirme, leur rémunération dépasse nettement la moyenne canadienne, une aberration quand on sait que le niveau de vie québécois est plus bas. Par contre, ce n’est pas le cas des médecins généralistes. Dans leur cas, le problème est ailleurs, dans leur charge de travail.

La donnée de base la plus utilisée, c’est le paiement clinique brut moyen, les paiements aux médecins sous diverses formes – rémunération à l’acte, vacation, capitation, contrats. Rappelons qu’il ne s’agit pas de salaire parce que ces sommes servent aussi à couvrir les dépenses des médecins. Avec un paiement moyen de 310 438 $, les médecins québécois sont nettement sous la moyenne canadienne de 338 605 $. Ils se retrouvent là où ils devraient être pour tenir compte de la capacité de payer du Québec, au sixième rang canadien et derrière l’Ontario, la base de comparaison classique, où le paiement est de 363 841 $.

Le portrait devient toutefois fort différent lorsque l’on distingue les spécialistes et les généralistes. Ces derniers, à 248 028 $, au septième rang canadien, sont nettement sous la moyenne canadienne de 271 417 $ et encore plus loin des 313 804 $ de l’Ontario.

Par contre, les spécialistes, avec 380 831 $, sont un peu au-dessus de la moyenne canadienne de 370 605 $ et dépassent aussi les 370 610 $ de l’Ontario.

Ces données indiquent que ce sont les spécialistes qui sont passés du rattrapage, légitime, au dépassement, qui ne l’est pas.

Ils devraient être rémunérés moins que la moyenne canadienne et que l’Ontario pour tenir compte du retard québécois pour le niveau de vie et le coût de la vie.

Ces chiffres sont toutefois imparfaits. Ce sont des moyennes qui englobent aussi des médecins qui ne font pas que de la médecine – recherche, administration – ou qui travaillent moins – demi-retraite, temps partiel –, ce qui est plus fréquent chez les généralistes et encore plus fréquent au Québec où l’on retrouve plus de femmes médecins et moins de médecins formés à l’étranger.

L’ICIS, pour corriger ce biais, utilise d’autres indicateurs, par exemple en ne retenant que les médecins qui gagnent plus de 60 000 $ par année ou encore avec des calculs qui permettent d’estimer le nombre de médecins équivalent temps plein. Ces calculs ne tiennent toutefois compte que de la rémunération à l’acte.

Avec cette mesure plus représentative, le paiement moyen par médecin en équivalent temps plein rémunéré à l’acte est de 261 100 $ pour les généralistes québécois. Ils se retrouvent au septième rang des provinces, sous la moyenne canadienne de 278 111 $. Par contre, cette rémunération dépasse nettement celle de l’Ontario qui est de 244 532 $. C’est ce chiffre qui a permis de dire que les généralistes québécois font plus d’argent que leurs collègues ontariens.

Mais c’est une conclusion que l’on ne peut pas tirer, parce que l’Ontario est une anomalie. Selon ces chiffres, c’est la province où les généralistes sont les moins bien payés au Canada. Cela tient au fait que ces données ne tiennent compte que de la rémunération à l’acte, et qu’en Ontario, une importante partie de leur rémunération prend d’autres formes.

Au Québec, pour les généralistes, la rémunération à l’acte représente 68,4 % des paiements totaux, une proportion semblable à celle que l’on retrouve dans la plupart des autres provinces. Mais en Ontario, elle ne représente que 45,3 % de la rémunération. On compare donc une somme qui représente plus des deux tiers du revenu des généralistes québécois à une somme qui représente moins de la moitié du revenu des généralistes ontariens.

EN QUEUE DE PELOTON POUR LE NOMBRE DE SERVICES

Les généralistes québécois ne sont pas surpayés. Ils sont là où ils devraient être, sous la moyenne canadienne, au septième rang des provinces. Dans leur cas, le problème n’est pas là. Il se retrouve dans le fait qu’ils semblent travailler moins. Le nombre de services – évaluations, consultations, etc. – dispensés par les généralistes québécois est de 266 777 par 100 000 habitants. Le Québec est derrière toutes les provinces, et loin derrière la moyenne canadienne de 335 683 services par 100 000 habitants. Même si les généralistes québécois en équivalent temps plein sont plus nombreux – 73 pour 100 000 habitants, contre 62 en Ontario et 66 pour l’ensemble canadien –, le coût de chaque service, qui est de 60,71 $ au Québec, est beaucoup plus élevé que les 45,51 $ du Canada, un écart, énorme, de 33 %.

Revenons à nos spécialistes. Dans leur cas, le paiement par médecin en équivalent temps plein est de 416 314 $. Ils sont au quatrième rang canadien, après les provinces de l’Ouest, solidement au-dessus de la moyenne canadienne de 384 034 $ et devant les Ontariens, payés 339 571 $.

Et là, on peut faire la comparaison avec l’Ontario parce que, dans le cas des spécialistes, la proportion des revenus provenant de la rémunération à l’acte est pratiquement la même, 84,2 % au Québec contre 84,4 % en Ontario.

Tant sur le plan de l’équité que sur celui de la logique économique, on s’attendrait à ce que les spécialistes touchent moins que la moyenne canadienne et moins que leurs collègues ontariens. L’économiste Pierre Fortin, dans L’Actualité, a utilisé l’écart du coût de la vie entre les deux provinces, soit 12 %. On pourrait utiliser d’autres critères, par exemple, l’écart du niveau de vie, soit le produit intérieur brut par habitant, entre le Québec et le Canada, qui est de 18,9 %.

Mais si on applique le critère des 12 %, un spécialiste québécois devrait toucher un revenu inférieur de 12 % à celui d’un spécialiste ontarien, ce qui donnerait 317 491 $, soit 98 823 $ de moins que ce qu’il a reçu en 2015.

Avant de partir en guerre, il y a une foule de questions à poser. Est-ce que ces comparaisons sont valides ? Y a-t-il des facteurs dont on ne tient pas compte, des différences entre les provinces, des explications ? Je note par exemple que les psychiatres et les pédiatres sont beaucoup plus payés au Québec qu’ailleurs, parce que les autres provinces n’ont pas corrigé le fait qu’ils étaient sous-payés. Dans le cas des généralistes, y a-t-il des différences dans la mesure des services ?

Mais il me paraît impératif que les Québécois puissent avoir des réponses, qu’ils aient l’heure juste. Faites le calcul : 98 823 $ de trop – si c’est vraiment le cas – pour chacun des 5750 spécialistes en équivalent temps plein, cela représente un déboursé additionnel de 565 millions pour l’État.

Un demi-milliard. Dans le cas des généralistes, si le coût de chaque service était sous la moyenne canadienne, ce qui devrait être le cas pour des médecins qui gagnent moins, cela représenterait aussi environ 500 millions de moins par année.

Un milliard chaque année. Ce n’est pas rien. Ça mérite des explications.

Ces explications, on ne peut pas les avoir de nos deux fédérations de médecins, prisonnières de leur logique corporatiste, même si leur point de vue est essentiel dans la recherche de la vérité. On ne peut pas non plus les avoir du ministre de la Santé, Gaétan Barrette, un conflit d’intérêts sur deux pattes. C’est lui qui a négocié une entente qui ne respecte pas les valeurs qui devaient présider à l’établissement de la rémunération des spécialistes.

Je reviens donc avec l’idée que j’ai déjà proposée, celle d’un comité indépendant chargé de faire la lumière, de donner l’heure juste sur la rémunération actuelle des médecins, de déterminer ce qu’elle devrait être, et capable de le faire de façon transparente.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.