OPINION

Donnons des pouvoirs de sanction au commissaire à la protection de la vie privée !

Facebook nous traque sur tout l’internet. WhatsApp partage nos données. Pendant que les autres pays agissent en imposant des amendes de plusieurs millions de dollars… le « gendarme » canadien de « protection » de la vie privée n’a aucun moyen d’action !

Le problème est bien connu. Le Canada a plusieurs lois protégeant nos renseignements personnels, mais le commissaire à la protection de la vie privée du Canada n’a pas les pouvoirs d’application nécessaires pour en assurer l’effectivité !

À une époque du « tout données », voulons-nous vraiment compromettre la vie privée des Canadiens ?

Pour assurer une protection adéquate, le commissaire à la protection de la vie privée a besoin de pouvoir prendre des ordonnances contraignantes ainsi que d’imposer des amendes dissuasives aux organisations qui portent atteinte à nos droits.

Comme tout, la protection des renseignements personnels fait l’objet d’une analyse coût-avantage. À l’heure actuelle, les sociétés doivent choisir entre investir dans une protection de la vie privée dès la conception des produits ou services et l’éventualité de… se faire taper sur les doigts ! Avec le risque d’une sanction financière importante en cas de manquement, l’analyse coût-avantage basculera vers une prise en compte de la vie privée dès l’origine.

Sanctions

Nos principaux partenaires économiques, tels les États-Unis ou l’Union européenne, ont depuis longtemps offert de tels pouvoirs à leurs autorités administratives. Ainsi, la semaine dernière, l’autorité française a pu condamner Facebook à une amende de 220 000 $ pour avoir suivi les internautes en dehors de la plateforme, sans les en informer et sans motifs légitimes. La semaine précédente, l’autorité italienne sanctionnait encore WhatsApp d’une amende de 4,5 millions pour avoir obligé ses utilisateurs à partager leurs données personnelles avec sa société mère… Facebook.

Ce type de sanction financière a un impact direct sur les acteurs et leur appréhension de la protection de la vie privée, mais pour être dissuasive, il faut évidemment que l’amende représente une somme importante. Par exemple, Google a changé le fonctionnement de son système de publicité en ligne… après avoir été condamnée en 2012 à une amende de 22,5 millions par le gendarme américain de la protection des consommateurs et de leur vie privée.

Les décideurs politiques canadiens sont d’ailleurs très au fait de l’effectivité des mécanismes de sanctions administratives.

En effet, le législateur fédéral a déjà mis en place de telles amendes dans des domaines pouvant porter un préjudice important aux consommateurs. Par exemple, les complots, les accords ou les arrangements entre concurrents sont sanctionnés par une amende pouvant aller jusqu’à 25 millions. De la même manière, la Loi canadienne antipourriel prévoit une possibilité d’amendes pouvant aller jusqu’à 10 millions.

Évidemment, certaines personnes nous diront que de tels pouvoirs menacent de mettre un terme à la relation de collaboration entre les acteurs et le Commissariat à la protection de la vie privée. Certains brandiront encore la crainte de freiner l’innovation et d’assommer inutilement les jeunes entrepreneurs.

Pourtant, les expériences provinciales et étrangères nous prouvent exactement le contraire ! Les autorités avec de tels pouvoirs d’application ont développé des programmes ambitieux de sensibilisation et d’éducation pour les différents acteurs de l’économie des données.

En réalité, l’existence d’un pouvoir renforcé incitera les acteurs à une plus grande collaboration pour assurer leur conformité, et cela en amont de tout dommage !

Il est évident qu’il faut soutenir les petites entreprises et ne pas freiner l’innovation canadienne. Pour cela, on pourrait offrir aux entrepreneurs de consulter le Commissaire en amont du lancement de leur produit ou de leur service pour obtenir un avis de conformité. Tout à leur avantage, une telle procédure permettrait de sécuriser leur projet, rassurer leurs investisseurs et participer à la construction d’une relation de confiance avec leurs futurs consommateurs.

La Chambre des communes, et plus particulièrement son Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique, procède actuellement à la révision du cadre canadien de la protection de la vie privée. Il est temps d’agir et de renforcer le rôle du Commissaire en lui offrant ces pouvoirs tant attendus !

Est-ce trop demander qu’une politique d’innovation responsable et consciente des enjeux sociétaux modernes comme la vie privée ?

* Directeur du Centre de recherche en droit, technologie et société de l’Université d’Ottawa

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